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peinture la plus pure entre les Vierges de Raphaël, non pas celle de Saint Sixte ou de Foligno, mais la Vierge au voile ou la Belle Jardinière. Jamais moins de notes n’ont eu contour plus parfait, expression plus pénétrante. Dans le peu d’espace où elle est comprise, la mélodie se meut à son aise. La première phrase à peine terminée, une autre naît au-dessous d’elle, puis d’autres encore, toutes analogues et cependant différentes, comme sur une même tige des fleurs près d’éclore autour d’une fleur épanouie.

Au point de vue du sentiment, comparez ce second air de Chérubin avec le premier. Ici l’enfant, plus ému encore que tout à l’heure, se contient davantage. Il ne chante plus pour Suzanne, mais, comme dit Beaumarchais, pour « cet objet céleste dont le hasard fit sa marraine. » Cette marraine, cette grande dame, est tout ce que le petit page a jamais vu, jamais rêvé de plus beau : c’est sa reine, sa fée, sa déesse, une radieuse apparition qui tout ensemble le trouble et l’émerveille. Il cache sous sa veste de soie le ruban qui, la nuit, a reposé sur le sein de cette belle marraine ; c’est devant elle et pour elle qu’il chante, tremblant et ravi, tout bas, à genoux.

Il ne chante pas comme dans la comédie : J’avais une marraine. Il ne chante pas seulement pour la comtesse, mais pour toute femme dont les lèvres voudront sur ses lèvres d’enfant cueillir la fleur d’amour. Ah ! l’on dit trop : le divin Mozart. Dans le Voi che sapete, plus loin, dans l’air de Suzanne habillant, ou plutôt déshabillant Chérubin, le divin Mozart, malgré l’idéale pureté de la forme musicale, est d’une humanité, comment dire ? .. non pas libertine, mais délicieusement sensuelle. Sensualité d’adolescence, sensualité que préservent de la gravelure sa fraîcheur et sa jeunesse mêmes. Oh ! la charmante aurore d’amour, aube de trouble et de désirs, que nos quinze ans à tous qui ne fûmes jamais pages énamourés d’une comtesse, que nos quinze ans à tous ont souhaité de connaître telle que Mozart l’a rêvée ! Qui ne voudrait une telle marraine pour recommencer la vie et pour rapprendre l’amour ? Qui relirait sans un soupir dans Beaumarchais et surtout dans Mozart la scène où Suzanne et la comtesse, la soubrette friponne et la maîtresse troublée, laissent courir leurs mains sur le cou découvert de Chérubin, sur ses bras mignons et blancs, disent-elles, comme les leurs. Voi che sapete ! Vous qui savez… qu’est devenu le temps où nous demandions, qu’est devenue celle qui nous a dit : Che cosa è amor ?

Chérubin, Suzanne et la comtesse forment un adorable trio, grâce auquel les Noces sont au-dessus de Don Juan. Le duo de Suzanne et du comte est supérieur même au duo de Don Juan et de Zerline. Quelle mélancolie, quel accent de reproche affectueux, presque ému, dans les premiers mots d’Almaviva : Crudel, perchè