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méconnu et renié, comment a-t-il osé abolir ce droit vénérable auquel il devait, en grande partie, la royauté ? Lorsque, en 1789, sur la proposition de Charles IV, dont le fils, don Ferdinand, né sur la terre étrangère, était exclu du trône par l’une des dispositions de la loi salique, dont la fille, mariée au prince du Brésil, pouvait réunir un jour sur sa tête, si son frère venait à mourir, les deux couronnes de Portugal et d’Espagne, un vote des cortès abolit l’auto-arcordado et restaura le droit des infantes à la succession royale ; — lorsque, en 1812, cette décision solennelle que l’on tint secrète par égard pour la France, mais qui n’était pas moins souveraine que celle de 1713, puisqu’elle émanait des mêmes pouvoirs, fut confirmée publiquement et insérée dans la constitution du royaume ; — lorsque, le 29 mars 1830, Ferdinand VII, sur les instances de la reine Christine, dont la grossesse était devenue certaine, promulgua la Pragmatique sanction, pour couper court aux aspirations de son frère, don Carlos, qui, étant né avant 1789, prétendait tenir des droits imprescriptibles de l’auto-acrordado, par ce motif que les lois n’ont pas d’effet rétroactif ; — lorsque, deux ans plus tard, le 31 décembre 1832, devant les grands fonctionnaires du royaume, il rétracta la reconnaissance que, dans un moment de faiblesse, terrassé par la douleur, cédant aux conseils oppressifs d’une réaction imprudente, il avait faite lui-même de ces droits ; — lorsque enfin, le 8 juin 1833, les cortès prêtèrent serment d’obéissance et de fidélité à la jeune infante Marie-Isabelle ; — l’Espagne, presque tout entière, tressaillit de joie et battit des mains.

Philippe V avait-il prévu ces applaudissemens ? Ont-ils troublé la paix de ses mânes dans les profondeurs éternelles ? S’il est donné aux morts de connaître et d’apprécier les événemens de ce monde, l’abolition de la loi salique par les pouvoirs qui l’avaient consacrée ne l’aura que médiocrement surpris, puisque lui-même tenta, un instant, de briser les entraves qu’il avait forgées de ses propres mains en préparant, en signant et en jurant sur l’évangile l’acte de sa renonciation au trône de France.

« Jusqu’à présent, écrivait Bonnac à Louis XIV, le 11 avril 1712[1], le roi n’a formé d’autre idée… que celle de garder pour lui un des deux royaumes, et de laisser l’autre à l’un des princes ses enfans, en cas que nos malheurs voulussent que M. le dauphin vint à mourir. » Quelques jours plus tard, le 22 avril, Philippe se plaignait amèrement à son aïeul de ce que les propositions qu’on lui faisait pour obtenir la pacification de l’Europe « fussent si peu conformes aux lois de la succession naturelle, lesquelles voudraient qu’un de ses enfans régnât sur l’un des deux royaumes, tandis

  1. Voyez la Revue du 15 juillet.