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à laisser durer un régime dont les Italiens, à vrai dire, sont les premiers à se plaindre, il est libre, c’est son affaire. Ce n’est point apparemment la France qui a la responsabilité, soit de la dénonciation du traité de 1881, soit des lenteurs de la négociation nouvelle. Quant à l’incident de Massaouah, il est né de ce fait que quelques sujets grecs placés sous la juridiction de notre consulat ont invoqué l’appui de la France contre des taxes établies par les autorités italiennes. Le gouvernement français s’est simplement borné à appuyer ces réclamations, comme il le devait. Il en avait d’autant plus le droit que l’occupation italienne n’a été jusqu’ici qu’un fait, que le cabinet de Rome n’avait pas songé à légaliser sa prise de possession par une notification régulière, que par conséquent les capitulations n’avaient pas cessé d’exister à Massaouah, territoire ottoman. C’était l’acte le plus simple, qui n’impliquait assurément ni malveillance ni contestation de la souveraineté que l’Italie prétend exercer sur les rives de la Mer-Rouge. C’était une affaire de droit international et d’intérêt à débattre sans bruit dans les chancelleries. Il n’a pu certainement venir à l’esprit d’aucun homme sérieux que la France, en défendant les intérêts de quelques étrangers qui invoquaient en protection, voulût ouvrir une querelle avec l’Italie.

C’était une puérilité. Qu’est-il arrivé cependant ? Il a plu à M. Crispi de voir dans la démarche la plus naturelle l’intention préméditée de porter atteinte aux droits italiens, de prendre des airs victorieux et arrogans dans des noies qu’il a adressées à toutes les puissances, où il parle de la France en homme qui n’a pas plus de goût que de mesure. M. Crispi a cru peut-être singer M. de Bismarck ; il n’a fait que de la diplomatie de capitaine Fracasse. S’il a cru conquérir d’un seul coup les suffrages de toutes les cours, de tous les pays, il s’est trompé. Il a pu être approuvé et encouragé à Berlin, où tout ce qui ressemble à un acte d’hostilité contre la France est naturellement bienvenu ; il n’a sûrement pas trouvé un accueil flatteur partout, et, même en Angleterre, lord Salisbury, dans ses explications, à la vérité un peu embarrassées, ne s’est pas montré disposé à s’associer aux fantaisies de M. le président du conseil du roi Humbert. Quant au gouvernement français, il a pris le meilleur parti, celui de ne point s’émouvoir, de ne pas se laisser entraîner à des représailles de polémiques, de se borner à rétablir les faits. Il garde l’avantage du calme, laissant au ministre italien le privilège de ses aménités diplomatiques et de ses provocations. Où M. Crispi a-t-il vu que « la France voudrait faire croire que les progrès pacifiques de la nation italienne semblent une diminution de sa puissance et de son autorité ? » La France n’a pour sûr aucun des sentimens qu’on lui prête. M. Crispi peut, tant qu’il voudra, s’établir à Massaouah, s’emparer de l’îlot de Zula, sa dernière conquête, et même aller à Zanzibar. Il est libre, comme il est libre d’infliger aux intérêts