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décrets de Gratien seraient exécutés. Le sénat pourtant ne se tint pas pour battu ; il renouvela plusieurs fois encore ses réclamations. Un moment même, pendant l’usurpation d’Eugène, il crut l’emporter, grâce au crédit dont Flavien jouissait auprès du nouveau prince ; mais son succès ne dura guère, et la victoire de Théodose ruina pour jamais ses espérances. Saint Ambroise a donc pleinement gagné sa cause devant ses contemporains : il est moins sûr qu’il ait été aussi heureux auprès de la postérité.

Il y a beaucoup de raisons pour qu’on lui soit aujourd’hui moins favorable qu’à Symmaque : d’abord Symmaque représente les vaincus. Il y a des gens qui sont toujours pour les plus forts : c’est le grand nombre ; mais il y en a aussi pour qui c’est un principe invariable d’être pour les plus faibles. Cette conduite est plus noble, quoique souvent aussi peu raisonnable : il faut être pour les plus justes. De plus, le rapport de Symmaque est fort agréable à lire ; c’est son œuvre la plus distinguée, la seule qui nous fasse comprendre la réputation dont il jouissait de son temps. Ni la sécheresse laborieuse de ses lettres, ni les déclamations ampoulées de ses panégyriques, ne nous faisaient rien attendre de pareil. Évidemment ici la passion religieuse l’a servi ; il défend une cause qui lui est chère, et, suivant le mot de Caton, le cœur l’a fait éloquent. Peut-être aussi ne l’a-t-il été que parce qu’il n’éprouvait pas le besoin de l’être. Il ne voulait pas composer une harangue, mais un simple rapport ; ce n’était pas le grand orateur qui parlait, mais le préfet de Rome qui exposait une affaire au prince. Ce genre n’exige pas les grands éclats, les larges développemens, les brillantes pensées qui sont à leur place dans les discours oratoires ; il demande seulement un ton grave, des raisonnemens serrés, de la logique, de la clarté. Symmaque était trop bon rhéteur pour ne pas obéir scrupuleusement aux règles de l’art ; il est heureux que les règles lui aient permis d’être plus simple qu’à son ordinaire, de ne pas se noyer dans les grandes phrases et de dire les choses comme il les sentait. Évidemment saint Ambroise ne sait pas si bien écrire que lui. C’est l’infériorité des pères de l’église, avec tout leur génie, de n’être jamais que des écrivains imparfaits. Pour bien écrire, ils se méfient trop de l’art et se fient trop à la grâce. Quand ils songent aux grands intérêts dont ils sont chargés, il leur semble futile de s’occuper des mots et des phrases, et ils sont trop portés à croire que Dieu saura bien toucher les cœurs tout seul, sans que les hommes s’en mêlent. J’ajoute que presque tous ont été gâtés par l’habitude du sermon. Assurément la chaire a été la grande puissance du christianisme ; c’est par elle qu’il a dominé le monde ; mais il arrive trop souvent que l’habitude de la parole improvisée rend