à l’état, quand les conditions modifiées de celle-là et de celui-ci ont fait qu’il devenait plus expédient que telle ou telle tâche fût exercée par une force générale coercitive que par des forces particulières et intermittentes. Ceux qui, sur les confins du far-west, lynchent les criminels, n’ont ni le temps, ni l’instruction, ni les conditions d’esprit nécessaires pour s’acquitter toujours convenablement de leur tâche ; des juges permanens valent mieux. De même pour les constables spéciaux, pour les pompiers volontaires, pour ces balayeurs spontanés que l’on voit encore à Londres ; des escouades moins nombreuses, mais permanentes, de gens professionnels, remplissent mieux ces offices.
C’est donc le principe de la division du travail qui, inconsciemment appliqué, a fait passer à l’état certaines fonctions que la société exerçait instinctivement et que l’état organise avec réflexion. Cette sorte de départ qui se fait graduellement entre les attributions de l’état et celles de la société libre a pour objet de laisser aux individus plus de temps pour leurs tâches privées, tout en organisant mieux certains services. Aussi doit-on considérer comme des esprits rétrogrades ceux qui nous proposent de revenir au jury civil, aux tribunaux d’arbitres ; à moins, toutefois, qu’on ne veuille voir dans ces tendances une réaction salutaire contre les abus que fêtât a introduits dans l’accomplissement des tâches dont il s’est chargé : la plasticité de la société réagirait alors contre ces fautes de l’état en abandonnant les organes qu’il a institués pour retourner à d’autres qu’elle crée spontanément.
On pourrait pousser très loin cet aperçu historique de la genèse des fonctions de l’état. Ainsi, le pouvoir législatif que l’état s’est attribué en certaines matières, comme les questions commerciales, ne lui a pas toujours été dévolu : il ne lui est échu que tard et par morceaux ; il a été d’abord exercé par les individus et les sociétés libres ; la fécondité inventive du commerce avait découvert certains procédés ingénieux, la lettre de change, le billet à ordre, bien d’autres encore, les marchés à terme sous toutes leurs formes, les combinaisons à primes, etc. ; la coutume avait réglé l’emploi de tous ces moyens ; les usages commerciaux eurent ainsi une origine spontanée, successive ; l’état finit par y mettre la main, s’en emparer, les généraliser, les perfectionner parfois, souvent aussi les déformer. Il faut donc condamner la superficialité de ces philosophes qui, habitant les nues et apercevant confusément sur cette terre l’état en possession de certains instrumens, s’imaginent que c’est lui qui les a créés, et jettent des cris de Jérémie quand on leur parie de la fécondité d’invention des associations privées.
Non-seulement le droit commercial a cette origine spontanée ; mais encore les agens généraux et protecteurs du commerce, les