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profondes, dont il se sert si volontiers, étaient d’usage dans la polémique chrétienne, et l’on en trouve des modèles ailleurs. Mais voici qui est plus nouveau et qu’il ne tient de personne. Il se trouve que la discussion l’amène à soutenir des principes auxquels l’église n’a pas toujours fait un bon accueil et qu’on est d’abord un peu surpris de rencontrer chez un évêque. On a vu que Symmaque est l’homme du passé ; il veut qu’on reste fidèle aux anciennes croyances, il regarde comme un crime de rien changer aux vieux usages. Naturellement saint Ambroise défend l’opinion contraire. Le passé n’est pas son idéal ; il croit que rien n’est parfait en naissant et que tout gagne à durer. Si les changemens déplaisent, si l’on se fait une loi de retourner toujours en arrière, pourquoi s’arrêter en route ? Il faut aller jusqu’au bout, revenir aux origines du monde, à la barbarie, au chaos ; il faut préférer à nos arts, au bien-être dont nous jouissons, aux connaissances que nous avons acquises, le temps où l’homme ne savait pas se construire une maison ni ensemencer les champs, où il vivait sous les grands arbres et se nourrissait du gland des chênes ; il faut même, pour être logique, descendre encore plus loin, jusqu’à ce moment où la lumière n’existait pas encore et où l’univers était plongé dans les ténèbres. Nous regardons l’apparition du soleil comme le premier bienfait de la création ; pour Symmaque, c’est le premier pas vers la décadence. Par ces raisonnemens exprimés d’une façon subtile et frappante, saint Ambroise veut nous amener à penser qu’il ne faut pas condamner sans retour toutes les innovations, et nous préparer ainsi à la plus grande de toutes, l’introduction du christianisme. « Le monde, dit-il, après avoir longtemps erré, a changé de route pour arriver à la maturité et à la perfection : que ceux qui l’en blâment accusent la moisson parce qu’elle ne mûrit pas les premiers jours, qu’ils reprochent à la vendange de nous faire attendre jusqu’à l’automne, qu’ils se plaignent de l’olive parce qu’elle est le dernier fruit de l’année ! » Et il conclut en ces termes : « N’est-il pas vrai qu’avec le temps tout se perfectionne ? Ce n’est pas à son lever que le jour est le plus brillant ; c’est à mesure qu’il avance qu’il éclate de lumière et qu’il enflamme de chaleur. » Voilà la théorie du progrès très nettement formulée : cette fois, l’église l’invoque à son profit ; mais le XVIIIe siècle l’ayant retournée contre elle, elle a été amenée à s’en méfier et même à la combattre comme une erreur coupable.

Une autre opinion de saint Ambroise mérite aussi d’être remarquée. Symmaque avait soutenu que c’était un devoir pour l’état de payer les prêtres. En effet, du moment que l’état et la religion sont indissolublement liés ensemble, les prêtres deviennent des