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faire comprendre à son petit-fils « les raisons » qui ont poussé le ministre de la reine à exiger que la Sicile fût remise au duc de Savoie, et que les droits éventuels de celui-ci à la couronne d’Espagne fussent énoncés formellement dans l’acte de renonciation. Il veut aussi qu’il l’instruise des sentimens de son aïeul au sujet des nouvelles prétentions qu’il a formées. N’est-il pas indispensable, dans les circonstances, de briser les liens qui enchaînent encore Victor-Amédée à la ligue, et n’a-t-il pas affirmé qu’il lui resterait fidèle tant que la perle de la Méditerranée manquerait à sa couronne ? Déclarer qu’il montera sur le trône d’Espagne, si la succession de Philippe V vient à s’éteindre, n’est-ce pas confirmer, du même coup, l’exclusion perpétuelle des deux maisons de France et d’Autriche ? N’est-ce pas là un acte de haute et habile politique ? Comment Sa Majesté catholique ne voit-elle pas, au contraire, qu’en demandant la renonciation formelle de l’empereur, elle reconnaît, par là même, ses droits et ceux de sa famille ? Louis XIV a bien voulu, pour lui complaire, en parler à Prior ; mais il sait que cette démarche ne peut avoir aucun succès : « Je prévois, sans peine, que la réponse sera que la reine, sa maîtresse, ne peut être garante des résolutions de l’archiduc sur un traité que, vraisemblablement, elle fera malgré lui ; qu’ainsi cette condition doit être remise à la paix générale… Quant à Gibraltar, — ajoute Louis XIV, — j’approuve fort l’empressement qu’a le roi d’Espagne de la retirer des mains des Anglais, et je suis persuadé qu’il ne doit pas en laisser échapper l’occasion, quelque prix qu’ils demandent. »

Philippe n’a pas attendu pour courber la tête que les argumens de son grand-père aient porté la lumière et la conviction dans son esprit. La réponse qu’il avait faite à la lettre du 22 août et dont nous avons cité quelques passages se terminait par cette phrase résignée : « Cependant, j’entre dans les raisons que vous avez eues pour agir comme vous l’avez fait, et j’en comprends la nécessité dans les conjonctures présentes. »

Le 4 septembre, il ne songe plus à résister, et il accorde tout ce que la reine exige : « J’ai déjà donné mes ordres pour faire dresser l’acte de la renonciation, en y ajoutant les deux clauses dont vous êtes convenu avec l’Angleterre… J’ai aussi ordonné la convocation des états pour le 6 octobre prochain, et expédié les décrets nécessaires pour faire exécuter le traité de suspension d’armes conclu à Paris dans toute l’étendue de mes états. »


COURCY.