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En vain, Philippe V essaya-t-il de se soustraire à la nouvelle obligation que lui imposaient les nécessités d’une politique inexorable, et d’obtenir, au moins, en retour un avantage de quelque importance. Céder la Sicile à Maximilien-Emmanuel, qui avait perdu, en défendant la France, sa couronne électorale et ses provinces, il l’eût fait sans murmurer ; mais la livrer à son beau-père, le duc de Savoie, pour le récompenser de sa criminelle défection et pour complaire aux Anglais ses ennemis acharnés, il n’y pouvait vraiment consentir sans recevoir une compensation non moins importante que légitime. Que l’Angleterre lui restitue Gibraltar, dût-il acheter cette faveur ; que l’Archiduc le reconnaisse publiquement comme roi d’Espagne et des Indes, il ferait, à ce prix, le sacrifice qu’on lui demande. Philippe exposa lui-même à son aïeul, par une longue épitre, ses doléances et ses prétentions. Louis XIV ne se laissa pas fléchir. Il eût appris, sans doute, avec une vive satisfaction, que son petit-fils avait recouvré Gibraltar, même en le payant fort cher ; mais l’espoir que celui-ci avait conçu d’obliger Charles VI à proclamer sa propre déchéance paraissait avec raison la plus puérile des chimères ; Louis croyait enfin avoir conquis la paix si ardemment désirée, si cruellement achetée par la France. Il n’entendait ni retarder ni compromettre ce triomphe. Convaincu qu’il le devait, en grande partie, au loyal et puissant concours de la reine Anne, il était peiné de voir que Philippe V méconnût la grandeur du service qu’elle avait rendu aux deux couronnes.

« Je crois que vous ne serez pas surpris, avait répondu le roi d’Espagne à la lettre du 22 août, que je trouve le procédé de l’Angleterre d’une extrême dureté à mon égard, puisqu’elle me fait déclarer, à son choix, la succession à la mienne, et qu’elle m’oblige à céder encore un royaume comme celui de Sicile, alors que j’ai cédé déjà tant d’états… Vous comprendrez aisément combien cela doit m’être pénible, et à quel point il m’est fâcheux de recevoir de pareilles conditions d’une nation qui a fait longtemps tous ses efforts pour me faire descendre du trône. »

« Si vous faites attention, réplique Louis XIV, le 5 septembre, aux efforts que l’Angleterre et ses alliés ont faits pour vous faire descendre du trône, vous devez présentement lui savoir gré de se détacher de vos ennemis pour vous y maintenir. Elle ne peut y réussir sans obtenir, de votre Majesté, des conditions pesantes, à la vérité, mais bien différentes de celles que les Hollandais voulaient vous imposer… Ainsi, je ne crois pas que vous ayez lieu de lui reprocher sa dureté, et je regarderais comme une nouvelle marque de votre sagesse le parti que vous prendriez de condescendre à ses demandes. »

Quelques jours plus tard, le roi de France charge Bonnac[1] de

  1. Louis XIV au marquis de Bonnac. Fontainebleau, 19 septembre 1712.