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lendemain, 28 juillet, Louis XIV à Bonnac, — je vous aurais dépêché un courrier pour informer plus promptement le roi et la reine d’Espagne de l’avantage que mes troupes ont remporté en Flandre… Vous pouvez juger de l’importance dont il est d’abaisser la fierté de mes ennemis, dans le temps qu’ils se croient en état de soutenir tout le poids de la guerre sans l’assistance de l’Angleterre. »

Lorsqu’un général en chef examine avec prudence les avis qu’il reçoit, pèse, décide, sous sa responsabilité, organise, ordonne, dirige l’exécution, paie lui-même vaillamment de sa personne, est-il juste de lui contester les mérites du succès, parce que ses lieutenans se sont montrés dignes de lui ? Une plume plus autorisée que la nôtre et guidée par la main d’un maître, celle de M. le marquis de vogué[1], a tracé dernièrement l’émouvant récit du drame militaire qui fut couronné par le triomphe du 24 juillet 1712[2]. Nous ne nous étendrons donc pas davantage sur ce triomphe. Mais, puisque l’occasion s’en présentait, nous avons pensé qu’il pouvait nous être permis de rendre, en passant, un hommage convaincu à la mémoire du vaillant homme de guerre qui, en dépit de ses détracteurs, et suivant le mot si connu de Napoléon, « sauva la France à Denain. »


VIII

Ce ne fut point sans un vif déplaisir que Louis XIV apprit la résolution définitive que Philippe V venait de prendre, malgré ses paternelles et pressantes exhortations. Mais il n’était pas homme à perdre son temps en regrets stériles et à récriminer, par de vaines plaintes, contre la fatalité des événemens. Personne ne savait prendre son parti des nécessités de la politique avec plus de promptitude, de dignité et de bonne grâce. Lorsque les faits s’étaient accomplis en dépit de ses prévisions, de sa volonté et de ses efforts, il se consolait en pensant que les rois eux-mêmes, fussent-ils Louis le Grand, ne peuvent lutter avec succès contre les mystérieux desseins de la Providence. L’ange n’avait pu vaincre Jacob. Bien qu’un roi de France fût assurément beaucoup plus qu’un patriarche, il n’était pas encore de force à se mesurer avec Dieu.

« Vous décidez, par votre lettre du 29 du mois dernier, la plus importante affaire que vous puissiez jamais avoir à délibérer. Je ne puis m’empêcher d’admirer et de louer l’élévation de vos sentimens, quoique j’eusse souhaité, vous aimant tendrement, que vous eussiez pris un autre parti. »

  1. L’une des sœurs du maréchal, Charlotte de Villars, avait épousé le comte de Vogüé.
  2. Villars diplomate, par M. le marquis de Vogüé. (Revue des Deux Mondes, 1887.)