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choix de son successeur. Les esprits étaient fort animés et l’on allait en venir aux mains, quand le gouverneur, Ambroise, se présenta dans l’assemblée pour rétablir l’ordre. Il s’exprima avec tant de fermeté et de bonne grâce, que tout le monde en fut charmé. Aussi une voix s’étant élevée par hasard pour dire : « Qu’il soit notre évêque ! » tous le répétèrent. Après quelque résistance, Ambroise céda, et le choix populaire fut sanctionné par les applaudisse mens de toute la chrétienté. « Courage, homme de Dieu, lui écrivait saint Basile ; c’est le Seigneur lui-même qui vous a choisi parmi les juges de la terre pour vous faire asseoir dans la chaire des apôtres : Venez combattre le bon combat ! » Ambroise y était merveilleusement préparé par sa vie antérieure. Il ne sortait pas d’un cloître, où d’ordinaire on fait mal l’apprentissage de la vie ; il avait appris le monde en vivant dans le monde ; il connaissait les affaires pour les avoir pratiquées. Il était de cette race des grands administrateurs de l’empire, esprits graves et sages, nourris des maximes du droit ancien, respectueux de l’autorité, dévoués au maintien de l’ordre. Il porta dans le gouvernement de l’église cette netteté de vues, cette décision, ce sens de la réalité et de la vie qu’il avait pris dans l’administration des provinces. C’était le digne adversaire de Symmaque, et les deux religions qui se disputaient l’empire allaient se combattre dans la personne de leurs deux plus illustres représentans.

Dès que saint Ambroise apprit la démarche du sénat et le succès qu’elle avait manqué d’obtenir, il s’empressa d’écrire une première protestation, dans laquelle il ne pouvait pas répondre en détail aux argumens du préfet de Rome, puisqu’il ne les connaissait pas encore. Il se contentait de rappeler au prince son devoir, et le faisait en termes énergiques et impérieux. Assurément, c’est un sujet soumis, mais il a le sentiment qu’il est l’interprète d’un pouvoir supérieur à celui des rois, « Tous ceux qui vivent sous la domination romaine, dit-il, servent l’empereur ; mais l’empereur doit lui-même servir le Dieu tout-puissant. » Comme il parle au nom de ce maître souverain, il ne prie pas, il commande ; il n’implore pas, il menace : « Soyez sûr que, si vous décidez contre nous, les évêques ne le souffriront pas. Vous pouvez aller dans les églises ; vous n’y trouverez pas de prêtre pour vous y recevoir, ou vous en trouverez qui vous en défendront l’accès. Que leur répondrez-vous quand ils vous diront : L’autel de Dieu refuse vos présens, car vous avez relevé l’autel des idoles ? » — C’est, on s’en souvient, ce qu’il a fait lui-même, à la porte de l’église de Milan, lorsque après le massacre de Thessalonique il en refusa l’entrée à Théodose.

Une fois qu’on lui eut communiqué, comme il le demandait, la