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délibération ; elle ne sera pourtant pas longue. Vous avez deux courriers ; expédiez-en un aujourd’hui pour annoncer que l’autre emportera dans deux jours ma réponse définitive. »

A quatre heures, le marquis de Bonnac est reçu de nouveau par Mme des Ursins. Elle se borne à lui faire connaître, en quelques paroles, que « le roi a pris son parti sur-le-champ, qu’il a déjà fait sa lettre pour Sa Majesté, et que, décidément, il préfère la conservation de l’Espagne et des Indes à toute autre considération ; » puis elle l’introduit dans le cabinet de Philippe, qui attendait sa visite.

Le roi lui dit « qu’il ne croyait pas que, sur des espérances incertaines et qu’il souhaiterait n’être jamais accomplies, il pût abandonner un état comme l’Espagne pour devenir roi de Sicile et de Savoie ; qu’il appuyait ses sentimens sur les intérêts mêmes de la France et sur la gloire de la maison royale ; que, connaissant, comme il le faisait, le duc de Savoie, il le regardait comme un voisin très dangereux pour la France ; que, s’il avait causé tant d’embarras avec les petits états qu’il possédait, on pouvait juger de ce qu’il ferait s’il était le maître de l’Espagne ; qu’en un mot, l’honneur de la maison royale était engagé à se maintenir dans la possession des deux couronnes ; qu’il faisait pour cela les plus grands sacrifices qu’on pouvait attendre d’un prince de son rang ; que le roi d’Espagne prétendait qu’on dût reconnaître à cette conduite son amour pour Sa Majesté, son zèle pour la gloire de la maison royale et son attention au propre intérêt de la France. »

Congédié assez brusquement après ces nobles paroles, qui l’ont ému sans le décourager, Bonnac entreprend, à nouveau, le siège de la camarera-mayor. Il la trouve dans l’antichambre, flanquée de son confident d’Aubigny, et l’entreprend, sans plus tarder, sur les intérêts de sa royale maîtresse, « si particulièrement, si fortement engagés dans la question. » La reine, répond Mme des Ursins, envisage cette affaire avec beaucoup de calme, considérant que, quelle qu’en soit la solution, l’honneur sera sauf. « Mais, s’écrie l’envoyé de France, compte-t-elle donc pour rien, dans cette occasion, l’honneur de sa maison ? — Elle n’y est pas insensible, dit la princesse, mais elle veut, avant tout, la satisfaction du roi d’Espagne. Au reste, ils ont résolu l’un et l’autre, pour prendre parti avec plus de circonspection, de faire leurs dévotions et de consulter avec Dieu une chose de si grande importance, ne voulant, d’ailleurs, prendre conseil de personne. Toutefois, je pense que le roi ne changera rien à sa résolution. » Ceci dit, elle rentre dans l’appartement de la reine. Louise-Marie terminait une grossesse ; elle gardait prudemment le lit depuis plusieurs jours, à la suite d’un léger accident qui avait causé quelque inquiétude à ses médecins. Philippe lui tenait compagnie et s’entretenait avec elle des