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contemplons tous les mêmes astres ; le même ciel, nous est commun ; nous sommes contenus dans le même univers. Qu’importe de quelle manière chacun cherche la vérité ? Un seul chemin ne peut suffire pour arriver à ce grand mystère, uno itinere non potest perveniri ad tam grande secretum. » Et, au moment de finir, il tient à mettre le trône du jeune prince sous la protection de tous ces dieux qu’il a tâché de réunir et de concilier : « Puissent toutes les religions employer leurs forces secrètes à vous soutenir, surtout celle qui a fait la grandeur de vos pères ! Pour qu’elle puisse vous défendre, laissez-nous la pratiquer. »


v

Le rapport de Symmaque fut écouté avec une grande faveur. Le conseil impérial comprenait des chrétiens et des païens ; tous, sans distinction de culte, furent d’accord que les réclamations étaient justes, et qu’il fallait accorder ce qu’on demandait. L’empereur seul résista. Valentinien n’avait que quatorze ans, et il est vraisemblable que les conseillers gouvernaient l’empire sous son nom. Il leur laissait sans doute la direction des affaires politiques et militaires ; mais pour les choses religieuses, il ne subissait pas leurs volontés. Éclairé par sa foi, écoutant ses scrupules, il n’hésita pas à se prononcer contre l’opinion générale avec une fermeté qui ne lui était pas ordinaire. Il reprocha aux chrétiens leur faiblesse, et répondit nettement aux païens qu’il ne rétablirait pas ce que son frère avait supprimé.

Mais on pouvait craindre qu’il changeât de sentiment, et que le sénat, appuyé par tous les politiques de l’empire, finît par avoir raison de la résistance de ce jeune homme. C’est alors que, pour maintenir le prince dans ses résolutions, pour l’empêcher de céder aux réclamations des païens, exprimées dans un si beau langage et soutenues par un parti si puissant, saint Ambroise entra ouvertement dans la lutte.

Tout le monde connaît l’histoire de l’évêque de Milan. On sait qu’il descendait d’une des grandes familles de Rome, celle des Aurelii, à laquelle appartenait aussi Symmaque, en sorte que les deux adversaires, dans ce grand débat, étaient assez proches parens. Fils d’un préfet des Gaules, on l’avait nommé de bonne heure gouverneur de l’Italie septentrionale, et il s’y était fait remarquer par son équité, son désintéressement, la netteté de sa parole, la décision de son caractère. L’empire comptait sur lui pour les plus hauts emplois, quand un hasard le donna à l’église. A la mort de leur évêque, les habitans de Milan ne pouvaient pas s’entendre sur le