remplir avec beaucoup de zèle, de savoir-faire, de courage, et ne démériter ni du petit-fils ni de l’aïeul.
Si Louis XIV avait conçu, s’il entretenait le doux espoir de persuader à Philippe que l’abandon de l’Espagne pour l’Italie serait un acte de grande et féconde politique, c’est qu’il comptait assurément sans les virils avis, sans les ambitieux calculs des conseillers du jeune roi, sans la puissance des liens sympathiques, presque indissolubles, par lesquels sont enchaînés ceux qui ont souffert, lutté, vaincu ensemble. Philippe pensait en souverain et il agissait trop souvent en esclave, parce que des volontés plus fortes que la sienne lui imposaient leurs décisions. Quand ces volontés se trouvaient d’accord avec ses propres inspirations, il faisait presque toujours grand et noble. Roseau pliant sous le souffle impérieux de la princesse des Ursins, il ne manquait ni de persévérance, ni de bravoure, ni de cœur. Pendant onze années tout entières, pour garder sa couronne, il a soutenu, contre les armées de l’Autriche, de l’Angleterre et du Portugal, contre les conspirations incessantes des grands et des moines, tout dévoués à l’Autriche, contre le pouvoir envahisseur de l’inquisition, contre la trahison et la pauvreté, contre la mauvaise fortune de la France succombant sous le poids de ses propres revers et devenue incapable de le secourir, une lutte inégale, douloureuse, désespérée. Deux fois chassé de sa capitale, en 1706 et 1710, il y a été ramené par l’amour de son peuple ; et c’est au moment où toutes les résistances sont terrassées, où sa noblesse est devenue fidèle, où son clergé est contenu, où son trône repose enfin sur des bases inébranlables, où il ne lui reste plus à recouvrer, sur tout le territoire de la Péninsule, que Barcelone et deux ou trois bourgades de Catalogne, où des impôts régulièrement perçus vont remplir ses coffres épuisés, lui permettre de payer ses soldats et de refaire sa marine, qu’il lui faudrait abandonner le fruit magnifique de tant d’épreuves, quitter, pour ainsi dire, en vaincu et en fugitif, le royaume qu’il vient de conquérir, voir se dresser de nouveau contre lui, insultantes et triomphantes, toutes les audaces qu’il a domptées, tenter une expérience nouvelle qui ne sera, sans doute, ni moins difficile, ni moins périlleuse que la première. Une telle perspective, dont le langage habile de Mme des Ursins évoque, dans son imagination impressionnable et troublée, les navrantes tristesses, fait défaillir son courage et saigner son cœur.
Comment n’userait-elle pas de toute son influence pour détourner Philippe du fatal parti auquel on veut l’entraîner ? Il y va de l’écroulement soudain d’une fortune politique dont s’étonne l’Europe entière, qui lui a coûté de prodigieux efforts d’intelligence et d’énergie, qui l’a portée au faite des grandeurs humaines, malgré