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contenter de l’Espagne et des Indes, en renonçant à toutes prétentions sur la France, ou bien de conserver les droits de sa naissance et d’accepter, avec le royaume de Sicile, l’échange des états du duc de Savoie.

« Pressez-le de se déterminer sur cette alternative ; vous ne pouvez me rendre un plus grand service.

« Je fais cependant écrire en Angleterre que je ne puis décider avant que d’avoir la réponse du roi mon petit-fils ; mais je promets, en même temps, que la paix sera faite sur le fondement de l’une ou de l’autre des deux alternatives proposées.

« Ne perdez pas de temps à me renvoyer le courrier que je vous dépêche. Il peut arriver chaque jour des événemens capables de changer la face des affaires, et l’on ne doit attendre de suspension d’armes que lorsque je pourrai rendre une réponse positive sur la résolution que prendra le roi d’Espagne.

«… J’envoierais auprès de lui quelqu’un exprès pour lui faire connaître mes intentions et pour être en état de répliquer aux réponses qu’il pourra faire, si je n’avais éprouvé, depuis que vous êtes auprès de lui, que vous avez réussi dans toutes les commissions que je vous ai données. »

Une lettre autographe de Louis XIV accompagnait la dépêche qu’on vient de lire. Au langage de la raison politique, il avait voulu joindre les accens de l’effusion paternelle :

«… Je vous avoue que, nonobstant la disproportion des états, j’ai été sensiblement touché de penser que vous continueriez de régner, que je pourrais toujours vous regarder comme mon successeur, et que votre situation vous permettrait de venir, de temps en temps, auprès de moi. Jugez, en effet, du plaisir que je me ferais de pouvoir me reposer sur vous pour l’avenir, d’être assuré que, si le dauphin vit, je laisserais, en votre personne, un régent accoutumé à commander, capable de maintenir l’ordre dans mon royaume et d’en étouffer les cabales ! que, si cet enfant vient à mourir, comme sa complexion faible ne donne que trop sujet de le croire, vous recueillerez ma succession suivant l’ordre de votre naissance ; que j’aurais la consolation de laisser à mes peuples un roi vertueux et qui, me succédant, réunirait à sa couronne des états aussi considérables que la Savoie, le Piémont et le Mont ferrât… Si la reconnaissance et la tendresse pour vos sujets sont pour vous des motifs pressans de demeurer avec eux, je puis dire que vous me devez les mêmes sentimens ; vous les devez à votre maison, à votre patrie, avant que de les devoir à l’Espagne. »

Les circonstances étaient trop graves pour que Torcy, qui entretenait une correspondance réglée avec Mme des Ursins, pût se dispenser de lui en écrire. Mais, tout en se montrant ému et pénétré,