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usurpation des fortunes particulières auxquelles la loi défend de toucher ? Les affranchis sont mis en possession des biens qu’on leur a légués ; on ne conteste pas même aux esclaves les avantages qu’un testament leur assure ; et les ministres des saints mystères, les nobles vierges de Vesta, sont seuls exclus du droit d’hérédité ! Que leur sert-il de dévouer leur chasteté au salut de la patrie, d’appuyer l’éternité de l’empire sur le secours du ciel, d’étendre sur vos armes et sur vos aigles la salutaire influence de leurs vertus, et de faire pour tous les citoyens des vœux efficaces, si nous ne les laissons pas jouir même du droit commun ? Comment pouvez-vous souffrir que, dans votre empire, on gagne plus à servir les hommes qu’à se dévouer aux dieux ? » Ce n’est pas seulement un crime odieux, c’est une faute dont l’état portera la peine. « La république en souffrira, car il ne peut pas lui servir d’être ingrate. » On l’a bien vu par la famine qui vient de désoler une partie du monde. Symmaque en sait la cause, et il est heureux de nous la dire : « Si la moisson a manqué, la faute n’en est pas à la terre ; nous n’avons rien à reprocher aux astres ; ce n’est pas la nielle qui a détruit le blé, ni l’ivraie qui a étouffé la bonne herbe : c’est le sacrilège qui a desséché le sol, sacrilegio annus exaruit, » Les dieux ont vengé leurs temples et leurs prêtres.

Symmaque a l’occasion, dans le cours de son rapport, de faire à plusieurs reprises sa profession de foi : elle a été fort remarquée et mérite de l’être. Il faut reconnaître qu’elle présente un caractère d’élévation et de grandeur qui aurait un peu surpris les dévots de l’ancien temps. C’est celle des païens éclairés de cette époque, qui voulaient mettre d’accord leurs croyances religieuses et leurs opinions philosophiques. Ils s’en servaient volontiers dans leurs polémiques avec les chrétiens, et il leur semblait qu’elle pouvait offrir aux deux cultes un moyen de s’entendre, ou du moins de se supporter. Symmaque commence par établir la légitimité de la religion nationale : « Chacun a ses usages, chacun a son culte. La Providence divine (mens divina) assigne à chaque cité des protecteurs différens. De même que chaque mortel reçoit une âme en naissant, de même à chaque peuple sont attribués des génies particuliers qui règlent leurs destinées. » Ainsi les dieux qu’adore chaque nation ne sont que des serviteurs ou des délégués de la divinité suprême, et, dans ce système, l’unité divine n’est pas compromise par la multiplicité des dieux locaux. Mais Symmaque va plus loin ; il laisse entendre qu’en réalité toutes les religions se confondent, et qu’elles ne sont que des formes diverses d’un même sentiment. « Reconnaissons, dit-il, que cet être, auquel s’adressent les prières de tous les hommes, est le même pour tous. Nous