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empereurs le droit d’y rien changer. « vous savez bien qu’il ne vous est pas permis de toucher aux usages de nos pères. Vobis contra morem parentum intelligitis nihil licere. » Voilà une bien fière parole pour un sénat d’ordinaire si obéissant et si humble ; mais ce qui lui donne du cœur, c’est qu’il est convaincu que la prospérité de l’empire dépend du maintien de la vieille religion : « Nous redemandons un culte qui a fait longtemps la fortune de Rome. » S’il l’a faite, il peut seul la conserver. Il ne s’agit pas entre hommes d’état d’instituer des discussions théologiques. Les religions se jugent par les services qu’elles rendent ; l’homme ne s’attache aux dieux que quand ils lui ont été utiles, utilitas quæ maxime homini deos asserit. « Puisque toute cause première est enveloppée de nuages, à quel signe reconnaîtrons-nous la divinité, sinon à ce passé de succès et de gloire ? Si donc une longue suite d’années fonde l’autorité de la religion, conservons la foi de tant de siècles ; suivons nos pères qui si longtemps ont avec profit suivi les leurs. » Ici l’orateur, pour donner plus de force à ses paroles, les met dans la bouche de Rome elle-même : « Il me semble que Rome est devant vous et qu’elle vous parle en ces termes : Princes excellens, pères de la patrie, respectez la vieillesse où je suis parvenue sous cette loi sacrée. Laissez-moi mes antiques solennités ; je n’ai pas lieu de m’en repentir. Permettez-moi, puisque je suis libre, de vivre selon mes usages. Ce culte a mis tout l’univers sous mes lois ; ces sacrifices, ces cérémonies saintes, ont écarté Hannibal de mes murs et les Gaulois du Capitole. N’ai-je donc été sauvée alors que pour me Voir outragée dans mes vieux jours ? Quoi que ce soit qu’on me demande, il est trop tard pour le faire. Ne serait-il pas honteux de changer à mon âge ? »

On pense bien que Symmaque ne manque pas de se plaindre des décrets de Gratien qui ont supprimé les appointemens des prêtres et confisqué les revenus des temples ; — c’était, on l’a vu, l’atteinte la plus grave qu’on eût portée au paganisme. — Quand il les attaque, il devient pressant, hardi, presque violent ; il a l’accent des orateurs de la droite, Maury ou Cazalès, quand ils défendent les biens du clergé devant l’assemblée nationale, et emploie les mêmes argumens. Il affirme que ce qu’un prince a donné, un autre ne peut pas le reprendre ; c’est une spoliation qu’aucune loi n’autorise ; il n’est pas juste de refuser aux collèges sacerdotaux le droit de recevoir les legs qu’on veut bien leur faire ; il est criminel de s’emparer de ceux qu’on leur a faits et qui leur appartiennent ; les mauvais princes sont les seuls qui ne respectent pas la volonté des mourans. « Eh quoi ! ajoute-t-il, la religion romaine est-elle mise hors du droit romain ? Quel nom donner à cette