Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/868

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en d’autres termes et en prose, l’ingéniosité malheureuse avec laquelle, dans la fable grecque, il avait tissu l’épisode des amours de Thésée et de Dircé.

Il raconte lui-même qu’il avait eu l’idée, tout d’abord, de suivre et d’imiter d’assez près l’Œdipe-Roi de Sophocle, non toutefois sans y mêler, pour en relever sans doute la nue simplicité, quelques traits de celui de Sénèque. Mais il lui parut que, s’il le transcrivait, dans son horreur tragique, pour la scène française, « il ferait soulever la délicatesse des dames, » — et il ne s’en plaint pas, ainsi qu’on l’a cru quelquefois, il ne regrette point de n’avoir pas osé, — mais c’est plutôt comme s’il disait qu’un temps venait de finir, et un autre de commencer, avec d’autres mœurs, d’autres goûts, d’autres exigences. Et, en effet, il avait alors passé la cinquantaine, et depuis trente ans déjà qu’il avait donné sa Mélite, le public s’était renouvelé. Les dames, qui jusqu’alors ne fréquentaient guère le théâtre, qui ne s’en donnaient le divertissement qu’à demeure, se montraient maintenant à l’Hôtel de Bourgogne, et, suivies des « marquis, » remplissaient avec eux les loges et la scène. Aussi bien le succès du Timocrate et de la Bérénice du petit frère, celui des premières tragédies de Quinault, la Stratonice et l’Amalazonte, avait-il averti Corneille. On ne voulait plus rien que de joli, que de poli, que de galant. Puisqu’il fallait du sang dans la tragédie, on s’y résignait, mais on y demandait maintenant de l’amour, une imitation ou une ombre de l’amour, jusqu’à ce que Racine, plus hardi, mettant devant ce qui était derrière, et de l’accessoire faisant le principal, la tragédie ne consistera plus désormais qu’en une représentation des passions de l’amour. On trouvera qu’il va trop loin, l’auteur de Bajazet et de Phèdre, et on le lui fera cruellement sentir. Mais, en attendant, c’est pour flatter ce goût du public et de la jeune cour que Corneille, dans son Œdipe, a introduit ce galant épisode ; c’est la façon dont il l’a traité qui lui a conquis le suffrage des jeunes gens et des femmes ; et c’est pour n’en pas perdre les plaisirs et les profils qu’à partir d’OEdipe, l’amour et la galanterie vont occuper la place qu’ils tiennent, et qui est presque la principale, dans les tragédies de sa dernière manière.

Si d’ailleurs cette préoccupation des choses de l’amour était aussi nouvelle chez lui qu’on l’a bien voulu dire, c’est ce qu’il pourrait y avoir lieu d’examiner, — pour trouver d’excellens et de nombreux motifs d’en douter. Parce qu’en effet il a dit que l’amour « était une passion chargée de trop de faiblesse pour être dominante dans une pièce héroïque, » on l’en a cru sur sa parole ; et la maxime est passée en proverbe. Mais on n’a pas assez remarqué que lui-même ne s’est avisé que fort tard d’en faire la découverte, entre cinquante et soixante ans seulement, dans une lettre qu’il écrivait à