mesures fiscales prises par le prince contre leur religion fussent beaucoup plus graves, ils en parlèrent peu : il ne sied pas de paraître trop sensible aux questions d’argent. En revanche, ils affectèrent de se plaindre amèrement de l’outrage qu’on faisait au sénat en lui ôtant l’autel de la victoire : ils savaient que leurs plaintes seraient bien accueillies, non-seulement de tous les païens convaincus, mais de ces esprits indécis qui, quoique penchant vers le christianisme, ou même devenus tout à fait chrétiens, ne pouvaient se défendre de conserver un souvenir pieux du passé. Il y en avait beaucoup, parmi ces chrétiens timides, qui voulaient ménager les transitions et qui pensaient qu’on pouvait garder les anciens usages, à la condition de leur ôter autant que possible leur caractère religieux ; il leur semblait, par exemple, qu’en faisant des jeux de Bacchus et de Cérès de simples fêtes en l’honneur de l’agriculture et de la vendange, en convertissant les temples en lieux de réunion pour les citoyens, en bourses et en hôtels de ville, en ne regardant les statues des dieux que comme des œuvres d’art dont on se servait pour orner les places et les basiliques, il n’y avait plus de raison de les détruire. Pour eux, la victoire n’était plus qu’un nom de favorable augure, une allégorie et un symbole, qui leur semblait parfaitement à sa place dans un lieu où l’on délibérait des affaires publiques. Ainsi, les païens, en se plaignant qu’on l’en eût expulsée, avaient l’espoir d’associer à leur mécontentement des gens mêmes qui ne partageaient pas leurs croyances.
Le principal argument dont l’empereur s’était servi pour supprimer l’autel et la statue, c’est qu’il ne convenait pas de mettre sous les yeux des sénateurs qui avaient embrassé la religion nouvelle des objets qui blessaient leur foi. Mais l’argument n’avait toute sa force que si l’on pouvait établir que le nombre des sénateurs chrétiens était assez considérable pour qu’on eût égard à leurs scrupules. Voilà pourquoi saint Ambroise répète à plusieurs reprises que les chrétiens forment dans le sénat la majorité. Symmaque n’a jamais dit ouvertement le contraire, mais il le laisse partout entendre, quand il se donne pour le représentant du sénat et qu’il affirme qu’il parle en son nom. Il est certain qu’il avait été officiellement désigné par ses collègues pour aller trouver le prince et lui porter leurs réclamations. Or nous savons que le choix des délégués qu’on envoyait à l’empereur était toujours précédé d’une discussion et qu’il faisait l’objet d’un vote. C’est donc la majorité du sénat qui a choisi Symmaque ; d’où l’on doit conclure qu’au moins ce jour-là la majorité était païenne : aucune contestation à ce sujet n’est possible. Aussi saint Ambroise prétend-il que, lorsque le sénat délibéra sur cette affaire, il n’était pas au complet, et que beaucoup de ses membres