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j’avais été le témoin en 1848. Seul de tous les souverains allemands en lutte avec la Prusse, il refusa de fuir. Il resta au château de Wilhelmshöhe, attendant de pied ferme les soldats de son cousin germain le roi Guillaume. Il fallut l’arracher de son palais et l’emmener prisonnier ; — c’était bien finir un triste règne[1].

Il subit de dures épreuves. Le ministre de Prusse, M. de Roeder, pour l’impressionner et triompher de ses résistances, alla, dans le feu de ses menaçantes objurgations, jusqu’à saisir et secouer violemment un bouton de son uniforme. Il était encore sous l’indignation de cet outrage, lorsque notre envoyé, ému de son infortune, pénétra dans son cabinet, après avoir forcé, non sans peine, les lignes prussiennes. Il pria le comte de Bondy d’aviser l’empereur des violences dont il était victime : « Les Français, disait-il, n’eussent pas traité ainsi souverain ! « Il rappela qu’après Iéna, dans son enfance, — il était né en 1802, — jamais il ne passait avec sa mère devant une de nos sentinelles sans qu’elle leur présentât les armes. — L’électeur avait la haine de la France, et, dans sa détresse, il se retournait vers elle ; il rendait un tardif hommage à sa courtoisie, à son esprit chevaleresque !

Je le revis à Francfort, dans l’automne de 1867. Il ne portait plus l’uniforme, il était sans aides-de-camp et sans chambellans, il avait perdu le prestige que donne la majesté souveraine. Ses traits étaient altérés, ses cheveux avaient blanchi, sa taille s’était voûtée ; il était méconnaissable en tenue bourgeoise ; son regard, toujours altier, dénotait seul le rejeton d’une illustre lignée, le descendant de Philippe le Magnanime, l’allié de Richelieu. Retrouver, proscrit, dépossédé de ses états, errant, perdu dans la foule, un souverain auprès duquel on était accrédité, qu’on a vu aux jours de sa puissance, adulé, sollicité, quel sujet de méditations ! ..

La foi monarchique de l’électeur n’était pas ébranlée par ses vicissitudes. « Les Prussiens volé ma couronne, me disait-il, l’œil enflammé, mais rentrerai à Cassel ! .. » Pour lui, tout ce qui s’était passé n’était qu’un accident ; il se soumettait si peu au fait accompli que, du fond de la Bohême, il notifiait le décès de son cousin le landgrave de Hesse au sénat de Francfort, comme si cette assemblée, descendue au rang de conseil municipal, était encore l’émanation souveraine de l’ancienne ville libre, et comme si lui-même, dans son exil, jouissait encore des prérogatives d’un prince régnant.


G. ROTHAN.

  1. Il fut emmené nuitamment et interné à Stettin.