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triomphe de l’ordre à Paris s’était, à Francfort, imposé aux délibérations du parlement ; il avait assuré l’élection de l’archiduc Jean, et rendu aux princes la confiance et le courage qu’ils avaient perdus. L’action de la France, à cette époque, était rayonnante, irrésistible, dans les bonnes comme dans les mauvaises causes. Elle était crainte, admirée, écoutée, suivie ; ses idées dominaient, troublaient ou vivifiaient le monde. Son rôle a bien changé. Elle n’est plus la grande initiatrice ; les gouvernemens la donnent en exemple à leurs peuples, elle leur sert d’enseignement ; adonnée à l’esprit de coterie, livrée aux discordes, elle a cessé d’être un foyer lumineux, rayonnant. Le ressort de la volonté se serait-il brisé dans son âme ?


X

L’archiduc Jean forma un gouvernement composé d’élémens disparates. L’éclectisme lui était imposé ; son ministère ne pouvait être que le produit de toutes les nationalités germaniques. Il nomma et reçut des envoyés extraordinaires. M. de Raumer, l’historien surfait des Hohenstaufen, fut envoyé à Paris. Le sous-secrétaire d’état aux affaires étrangères, qui redoutait son inexpérience diplomatique, lui fit hommage de Martens, un recueil indigeste de traités et de protocoles, pour lui permettre d’apprendre son métier. Arrivé à Paris, M. de Raumer lui renvoya les volumes. « A quoi bon Martens, lui écrivait-il, il n’y a plus de traités ! »

Aucun gouvernement, ni au dehors ni à l’intérieur, ne fit de difficultés pour reconnaître l’autorité du vicaire de l’empire. Il semblait que sa tâche serait facile. C’est à peine si les partis lui laissèrent le temps de connaître les douceurs de la lune de miel. Dès le lendemain de son installation, il se trouva aux prises avec les six cents volontés infatuées d’elles-mêmes dont se composait le parlement. Chaque membre se croyait obligé à faire prévaloir ses théories, à porter à la tribune le fruit de ses études et de ses méditations. Emportée par une ardeur juvénile, immodérée, l’assemblée se croyait maîtresse, non-seulement des destinées de l’Allemagne, mais aussi de celles de l’Europe. Elle s’imaginait n’avoir qu’à formuler des ordres pour achever son œuvre. « La seule préoccupation de notre politique, disait un de ses orgueilleux manifestes, sera de maintenir toujours haut le droit et l’honneur de l’Allemagne. » Ce mot de droit sonnait étrangement dans un document révolutionnaire. Il ouvrait de larges horizons aux convoitises du patriotisme germanique, il s’adressait à son avidité conquérante, il traduisait en termes concis la chanson du poète : Qu’est-ce que la pairie de l’Allemand ? Rien n’arrêtait les professeurs : ni la