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mêlées entre elles et se côtoyaient de si près qu’elles étaient bien forcées de se supporter l’une l’autre. Dans le sénat de Rome, dans les curies de petite ville, dans les collèges d’artisans, où les chrétiens et les païens se trouvaient sans cesse en présence, ils s’habituaient peu à peu à vivre ensemble. Les fonctionnaires publics étant pris indistinctement dans les deux cultes, rien n’aurait marché s’ils n’avaient pas cherché à s’entendre. Il est probable qu’ils y réussissaient, car nous ne voyons pas, quand nous lisons l’histoire de ce temps, que l’expédition des affaires ait été sérieusement entravée par des haines religieuses et qu’il se soit élevé des conflits dont l’administration publique ait beaucoup souffert. Mais l’apaisement n’était qu’à la surface. Au-dessous de cette apparence tranquille, les passions n’étaient pas moins ardentes, et l’on va voir qu’il suffit de quelques édits de Gratien pour allumer la guerre entre les deux partis.


III

On savait, depuis l’avènement de Gratien, qu’il était mal disposé pour la vieille religion romaine ; mais, s’il ne l’aimait pas, il ne l’avait jamais ouvertement attaquée. Le culte continuait à être célébré à Rome comme autrefois. Dans les lettres de Symmaque qu’on peut rapporter à cette époque, il est à chaque instant question de cérémonies publiques et de sacrifices solennels ; tous les prêtres sont à leur poste, les pontifes se réunissent aux jours désignés, les haruspices observent les prodiges, les vestales entretiennent le feu sacré. Avec un peu de bonne volonté, on pouvait croire qu’il n’y avait rien de changé et que le monde était resté fidèle aux anciennes croyances, quand tout à coup, en 382, l’empereur, sans doute à l’instigation des évêques, entre en lutte avec elles. Il se garde bien d’imiter l’empressement maladroit de Constance, qui avait essayé de tout détruire à la fois : il laisse les temples ouverts, il ne défend pas les cérémonies et les sacrifices, seulement il décide que l’état n’en fera plus les frais. Désormais, tout l’argent qu’on dépensait pour les fêtes sera partagé entre le trésor public et la caisse du préfet du prétoire ; les appointemens qu’on payait aux vestales et aux prêtres seront affectés à l’entretien de la poste impériale ; enfin, toutes les terres que possèdent les temples ou les collèges sacerdotaux deviennent la propriété du fisc.

Le coup était rude : le paganisme n’avait pas de plus grand attrait que la beauté de ses fêtes et l’éclat de ses cérémonies. Il comptait sur elles pour garder ses anciens partisans et en conquérir de nouveaux. Mais cette pompe coûtait cher, et l’état seul semblait assez