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mais ce qui l’attachait surtout au culte des aïeux, c’est qu’en toute chose il aimait le passé. Les anciens usages lui étaient tous également chers, et il n’y voulait rien changer. Quand il fut préfet de Rome, il refusa de monter dans la voiture somptueuse dont on se servait ordinairement, parce qu’elle n’était pas conforme à l’antique simplicité, et il écrivait tout exprès à l’empereur pour se plaindre qu’on se fût éloigné sur ce point des vieilles traditions. A la mort de Prætextat, son meilleur ami, les vestales ayant voulu lui élever une statue, quoiqu’il dût être fort satisfait de l’honneur qu’on faisait à un grand personnage qu’il aimait tendrement, il s’y opposa de toutes ses forces, sous prétexte que c’était une nouveauté, et qu’il ne voyait pas dans les registres qu’on l’eût jamais fait pour personne. Du reste, les vestales lui ont causé beaucoup de tracas ; il les avait sous sa garde, en sa qualité de pontife, et devait les surveiller. Il apprit un jour qu’il y en avait une, dans la ville d’Albe, qui avait manqué à ses vœux. La chose était certaine, le complice avouait. Aussitôt Symmaque, au nom du collège des pontifes, s’adresse au préfet de Rome pour qu’on lui remette la coupable. Le préfet, qui se trouvait être sans doute un chrétien ou un païen indifférent, hésitait ; Symmaque, impatient de punir le crime, se fâcha de tous ces délais, et déclara qu’il allait écrire au préfet du prétoire. Nous ne savons pas comment finit l’affaire et si le préfet du prétoire mit plus d’empressement à livrer la malheureuse que le préfet de Rome, mais nous pouvons être sûrs que le bon, le doux Symmaque, s’il l’avait tenue en son pouvoir, n’aurait pas manqué de la traiter comme faisaient les aïeux et de l’enterrer tout vive :


Tantum religio potuit suadore malorum !


Symmaque était donc plein de zèle pour la religion que ses ancêtres avaient pratiquée. Il accomplissait avec une régularité parfaite toutes les cérémonies du culte, et croyait sincèrement que le salut de Rome dépendait des sacrifices qu’on offrait aux dieux. Quand il voyait les armées romaines vaincues, les Germains pénétrer en Gaule, les Goths envahir l’Orient, il était convaincu que c’était parce qu’on avait oublié d’immoler quelques bœufs à Jupiter. « Dieux de la patrie, s’écriait-il en gémissant, pardonnez-nous nos négligences coupables ! »

Il faut pourtant remarquer que sa dévotion, quoique très vive, ne l’empêchait pas d’être tolérant. Il avait des amis dans les deux camps, et le ton dont il leur parle laisse rarement deviner à quel culte ils appartiennent. Les deux religions étaient en ce moment si