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la compagnie Burgard ; les carabiniers du capitaine de Géreaux ont été laissés à la garde des bagages. Un sommet du mamelon qui a servi d’observatoire à Chappedelaine, Froment-Coste a vu d’un coup d’œil et compris l’horreur du désastre ; et quand, tous les camarades de là-bas étant détruits, il ne doit plus songer qu’au salut de sa petite troupe, il est déjà trop tard. Cernée, assaillie, fusillée de toutes parts, la petite troupe va succomber comme l’autre. Froment-Coste tombe, la tête fracassée ; Dutertre et Burgard sont blessés, l’adjudant Thomas et Barbut pris.

Il n’y a plus un seul Français debout sur le champ de bataille ; mais auprès de marabout reste le capitaine de Géreaux avec sa compagnie de carabiniers, 80 hommes. A l’approche des Arabes, il s’enferme dans l’enceinte carrée qui entoure la koubba, et par les meurtrières pratiquées à travers le mur, le feu des grosses carabines tient l’ennemi à distance. Aux sommations que fait faire aux assiégés Abd-el-Kader, en leur promettant la vie sauvé, ils répondent par le cri de : Vive le roi ! La dernière doit être faite par un officier prisonnier et blessé, l’adjudant-major Dutertre ; tel est l’ordre de l’émir. Dutertre s’avance vers le marabout : « Chasseurs, s’écrie-t-il, on va me couper la tête si vous ne posez pas les armes, et moi je viens vous dire de mourir jusqu’au dernier plutôt que de vous rendre. » Aussitôt tombe décapité ce martyr de l’honneur. Abd-el-Kader s’éloigne, mais en laissant le marabout bloqué par les Kabyles.

Les assiégés peuvent être sauvés ; de deux côtés le salut peut leur venir. Comment ne leur est-il pas venu ? Le 23, de Djemma-Ghazaount on avait entendu, depuis huit heures du matin jusqu’à onze heures, une vive fusillade ; puis le bruit avait cessé complètement. A la tête d’une petite troupe de 120 hommes d’infanterie et de 16 cavaliers, le capitaine Coffyn avait fait une timide reconnaissance, à neuf heures, vers Sidi-Brahim ; mais, à l’approche de la cavalerie arabe, il s’était mis en retraite. « Je suis rentré, dit son rapport, avec cette conviction que toute communication était désormais impossible avec la colonne. »

D’autre part, de son bivouac sous Nedroma, le lieutenant-colonel de Barral avait pareillement entendu la fusillade ; il s’était même avancé dans la direction qu’elle indiquait avec deux escadrons de chasseurs d’Afrique, que devait suivre le commandant d’Exéa, du 10e bataillon de chasseurs à pied. Après une course de deux heures aux allures vives, le lieutenant-colonel avait fait sonner les trompettes, afin d’annoncer son approche ; mais, au moment où il s’engageait dans les montagnes des Msirda, la fusillade avait cessé. Peu de temps après, il avait vu descendre précipitamment d’une