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ou moins ouverte, plus ou moins loyale, qu’il rencontrait dans les bureaux de la direction de l’Algérie, au ministère de la guerre. La colonie vivait, depuis sept ans, sous le régime institué par l’ordonnance royale du 31 octobre 1838, de telle sorte que les affaires, au point de vue civil, étaient administrées, sous l’autorité supérieure du gouverneur-général, par un directeur de l’intérieur, un directeur des finances, et un procureur-général. Or, disait-on à Paris, comme M. le maréchal Bugeaud est toujours en expédition, les affaires en souffrent ; mais le remède à ce petit désordre est facile ; il n’y a qu’à créer un directeur-général des affaires civiles, personnage considérable qui centralisera tous les services et qui aura la présidence du conseil d’administration avec la signature, en l’absence du maréchal. Il ne manquait pas, en effet, de gens qui regrettaient u les longues absences » du gouverneur et qui lui conseillaient de laisser à ses lieutenans les affaires de guerre et de gouverner. « Je vous réponds à tous, écrivait-il à M. de Corcelles, que je vais au plus pressé, au plus important, et que, quand le feu sera à mon grenier, je ne resterai pas à la cuisine pour voir si la volaille est bien embrochée. Excusez cette vulgaire comparaison. Mais, en vérité, qu’étaient donc les affaires civiles en comparaison de celles de la guerre ? Fallait-il que je restasse à Alger à discuter l’éclairage, le pavage, tel ou tel alignement, une vente aux enchères, la police des filles, etc., pendant que mes lieutenans auraient fait la guerre bien ou mal, ou bien et mal ? Mais qu’aurait-on dit ? Que le gouverneur était lâche et fainéant. On aurait eu raison cette fois. Avant de partir et à mes rentrées, j’ai donné l’impulsion la plus active, et il y a un assez grand luxe d’administration pour que les affaires se fissent en mon absence. Elles se sont faites, rien n’est en arrière, et les bureaux de la guerre doivent être satisfaits. »

Au premier indice de ce qui se tramait à Paris, le maréchal se cabra : « Il paraît, écrivait-il au mois de janvier 1845, qu’on voulait, au ministère de la guerre, enlever l’ordonnance sur l’Algérie sans consulter ni le cabinet ni moi. On était convaincu, en vraies mouches du coche, que l’Algérie ne pouvait vivre sans l’application de cette œuvre si longuement élaborée par lesdites mouches mais l’éveil a été donné à temps. Je sais que plusieurs ministres doivent demander que ce travail de Pénélope soit revu au conseil d’état. C’est un moyen dilatoire qui pourra bien devenir une fin de non-recevoir. » Le maréchal se faisait illusion : le projet ne fut pas abandonné. Il fut seulement modifié de manière à supprimer le dualisme que ses auteurs avaient voulu rétablir, comme au temps du duc de Rovigo et du général Voirol ; un directeur-général des affaires civiles fut bien superposé aux trois principaux chefs de service, mais sans droit à la présidence ni à la signature ; c’était une