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Elle termine comme ferait une chrétienne, en exprimant l’espoir de le retrouver dans une autre vie : « J’aurais été bien heureuse, si les dieux m’avaient fait la faveur de ne pas te survivre. Je le suis pourtant, puisque j’ai été tienne tant que j’ai vécu, et que je le serai bientôt après ma mort. » Quand Prætextat mourut, en 88A, il était arrivé au comble de la popularité. La gravité de sa vie, la sincérité de ses convictions, la parfaite unité de sa conduite, en faisaient une des plus grandes figures du siècle. Tout le monde le respectait, et, à quelque distance, il produisait l’effet d’un Caton ou d’un Cincinnatus. Aussi reçut-il du sénat, du peuple, des grands collèges de prêtres dont il faisait partie, et même des princes qui ne partageaient pas ses croyances, des honneurs qu’on n’accordait guère qu’à des souverains.

Cependant, malgré toute sa science et sa piété, la considération dont il jouissait, les grandes fonctions qu’il avait remplies, Prætextat ne fut guère qu’une décoration pour les païens de Rome. Son ami, Nicomachus Flavianus, que nous appelons Flavien, était le véritable chef du parti. Comme Prætextat, il restait attaché de tout son cœur à l’ancien culte ; mais sa dévotion n’avait pas tout à fait le même caractère. D’abord, elle ne s’étendait pas à tous les dieux de l’univers, et le seul titre qu’on lui donne, sur les monumens élevés en son honneur, est celui de membre du collège des pontifes. Elle ne paraît pas non plus avoir été aussi ardente que celle de Prætextat. A vrai dire, il était plutôt superstitieux que dévot : on raconte qu’il consultait beaucoup les devins de toute sorte, et qu’il avait une grande confiance dans les réponses des oracles. Mais il en prenait fort à son aise lorsqu’il s’agissait d’accomplir les devoirs ordinaires de sa religion. Les pontifes devaient servir les dieux par quartier. Flavien, quand son tour était venu, et qu’il était absent de Rome, se faisait attendre, et quelquefois même il restait dans ses terres, malgré les représentations de ses collègues. Il lui est arrivé, dans des jours de fête où l’abstinence était de rigueur, de faire jeûner quelqu’un à sa place. Si les lettres de Symmaque étaient plus libres, plus intimes, si elles ne se bornaient pas d’ordinaire à un échange de banalités et de complimens, nous connaîtrions à fond Flavien, qui est l’un de ses correspondans les plus familiers. Tout ce qu’on y voit, c’est que, par momens, il paraît saisi d’une sorte de découragement, dont son ami cherche à le guérir ; comme les grands ambitieux déçus, il parle des plaisirs de la retraite, des charmes de la campagne ; il refuse de retourner à Rome, quand on l’en prie : il annonce qu’il est décidé à se retirer des affaires publiques. C’était donc au fond un mécontent ; il est à croire qu’il avait conçu de grandes espérances, et qu’elles ne s’étaient pas tout à fait réalisées. Peut-être