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faux pèlerins tuèrent ou blessèrent les premiers qu’ils surprirent ; mais, la minute d’après, ils furent assaillis à leur tour, et comme la porte avait été fermée sur eux, pas un seul ne put échapper : ils étaient entrés 58, on releva 58 cadavres. De la garnison, il y avait 6 tués et 26 blessés. Un coup de canon tiré de la redoute rappela le commandant Vinoy, qui, sans se douter de la gravité du cas, rencontra au retour les femmes, les enfans et les troupeaux de ceux qui venaient de tenter cet audacieux coup de main. Qui étaient -ils ?

D’après l’enquête faite par le commandant Walsin, chef du bureau arabe, c’étaient des Ouled-Brahim, de la grande tribu des Beni-Amer, khouan, c’est-à-dire adeptes d’une de ces confréries qui entretenaient et ravivaient sans cesse dans le Maroc l’exaltation religieuse. Ceux-ci appartenaient à l’ordre des Derkaoua, le plus fanatique de tous et le plus dangereux, même pour Abd-er-Rahmane, même pour Abd-el-Kader, car ses adeptes, révolutionnaires au premier chef, refusaient l’obéissance à toute puissance humaine, quelle qu’elle fût.

Le fait en lui-même ne se rattachait donc pas à la propagande exercée par les agens de l’émir ; il n’en était pas moins un symptôme étrange et redoutable de l’état général des esprits parmi les indigènes. Deux douars seulement des Beni-Amer s’étaient jetés dans l’entreprise ; mais toute la tribu en avait connu le projet, et pas un de ses chefs ne l’avait révélé. Aussi le commandant Walsin les punit-il en prenant une vingtaine d’entre eux comme otages et en séquestrant leurs chameaux, leurs mulets et leurs chevaux de guerre.

Dans le même temps, un commencement d’agitation était signalé au sud, chez les Sahariens, qui subissaient sans aucun doute l’influence d’Abd-el-Kader. Il y avait de ce côté-là deux zones distinctes : la plus voisine était celle des Chotts, parcourue par des tribus absolument pastorales et nomades ; la seconde, plus méridionale, comprenait les montagnes des Ksour et du Djebel-Amour ; les populations y étaient à la fois pastorales et agricoles. « Il y a, disait La Moricière au sujet des unes et des autres, deux moyens d’atteindre leurs intérêts matériels : le premier est de visiter leurs ksour, où elles ont des dépôts considérables ; le deuxième est de les frapper par des razzias, lorsqu’elles viennent camper à portée des limites du Tell. Il n’est pas inutile cependant de faire remarquer que, n’ayant pas encore souffert, elles ont une cavalerie nombreuse qui doit obliger à quelque circonspection dans les coups de main qu’on entreprendra contre elles. Ces populations, avec leurs nombreux chameaux, étant plus mobiles que nos colonnes, il ne faut pas essayer de les poursuivre, une fois qu’elles sont averties de