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de la Moulouïa sur la droite. Il y trouva des populations encore mieux disposées à son égard, et, dès qu’il fut dans le voisinage des Beni-Snassen, qui lui étaient absolument dévoués, il sentit renaître ses espérances et crut au relèvement prochain de sa fortune. Moustafa-Ben-Tami, Barkani, Bou-Hamedi, Miloud-ben-Arach, ses amis fidèles, partageaient sa confiance. Vers la fin du mois de décembre, il vit venir à lui un millier de Beni-Snassen et de gens du Rif, qui lui apportaient une offrande des grains et de raisins secs. De jour en jour son influence, grandissait et s’étendait ; il y eut des tribus qui se proposaient, disait-on, de déposer Abd-er-Rahmane et de proclamer Abd-el Kader à sa place. Il refusa de se prêter à leurs projets de révolte, mais il n’en resta pas moins pour le sultan un rival possible et un hôte toujours dangereux. Le fait que Mouley-Abd-er-Rahmane avait été battu par les roumi humiliait l’orgueil marocain, et l’autre fait, qu’il avait traité ensuite avec eux, exaspérait le fanatisme.

En même temps, les agens de l’émir ne cessaient d’intriguer parmi les tribus algériennes, soit qu’ayant émigré au Maroc, elles fussent tentées de rentrer sur leur ancien territoire, soit que, voisines de la frontière, elles fussent incitées à passer sur la terre marocaine. Malgré la surveillance que faisait exercer sur celles-ci La Moricière, il lui échappait toujours quelque douar, et la peine était encore plus grande quand il fallait favoriser le retour de quelques isolés. Abd-el-Kader faisait annoncer chez les Beni-Ouragh, les Flitta, les Sbéa, son arrivée prochaine avec des forces considérables.

Pour contrecarrer les intrigues de l’émir, le colonel Korte, le colonel Géry, La Moricière lui-même, se montraient sur la frontière à l’ouest et au sud, châtiant les insoumis, rassurant les timides, essayant en un mot de rétablir l’ordre, qui, sans être très apparemment troublé, ne laissait pas d’être compromis sourdement. Ainsi se passèrent les derniers mois de l’année 1844 et le premier de l’année 1845.

Le 30 janvier, dans la matinée, le chef de bataillon Vinoy, commandant le poste de Sidi-bel-Abbès, venait de sortir avec un détachement de spahis pour punir, les auteurs d’un vol de bestiaux commis la veille, quand, vers dix heures, le factionnaire de garde à l’avancée vit venir, à lui une soixantaine de pèlerins arabes, marchant en procession et psalmodiant. Comme ils avaient la prétention de passer outre, malgré la consigne, le factionnaire croisa la baïonnette ; mais, à l’instant même, il tomba mort d’un coup de pistolet ; en un clin d’œil, la redoute fut envahie. Les hommes du 6e léger, qui l’occupaient, étaient en train de prendre leur repas du matin. Hurlant et tirant leurs armes cachées sous les. burnous, les