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avaient ceci de commun qu’ils étaient fort attachés à la vieille religion, qu’ils remplissaient les plus hautes charges de l’état, et que, comme tous les païens zélés, ils affichaient une vive admiration pour l’ancienne littérature. Ils ne se contentaient pas de l’aimer, ils la cultivaient ; ce n’étaient pas seulement des lettrés délicats, mais des écrivains célèbres. Si l’on excepte la poésie, qui convenait moins à des grands seigneurs et à des politiques, ils se partageaient à tous les trois le domaine des lettres. L’un était plutôt un philosophe, l’autre un historien, le troisième un orateur. Il me semble que leur caractère particulier et le rôle qu’ils ont joué dans l’histoire de leur temps répond au genre spécial d’études qu’ils avaient choisi.

Le philosophe s’appelait Prætextat (Vettius Agorius Prætextatus). Il était un peu plus âgé que les deux autres, et devait être né vers le milieu du règne de Constantin. L’empereur Julien, qui connaissait son zèle pour le paganisme, en fit un proconsul d’Achaïe. Sous Valentinien, qui, comme on l’a vu, laissait chacun libre dans ses croyances, il garda sa charge, et même il profita de l’influence qu’elle lui donnait pour sauver les mystères d’Eleusis, qui semblaient en péril. On pouvait en effet leur appliquer une loi de Valentinien contre les sacrifices nocturnes ; mais Prætextat ayant déclaré au prince que, si on les supprimait, il ne valait plus la peine de vivre, on fit pour eux une exception. Devenu ensuite préfet de Rome, ses fonctions le rendirent l’arbitre d’une lutte violente qui s’éleva entre les chrétiens. A la mort du pape Libère, deux prêtres, Ursinus et Damase, se disputèrent sa succession. La querelle en vint au point qu’on se battit dans les églises, et qu’au dire d’Ammien on releva un jour sept cents cadavres sur le pavé d’une basilique. Prætextat mit fin au conflit par l’exil d’Ursinus. Je me figure qu’il devait sourire quand il recommandait aux chrétiens de se traiter avec moins d’inhumanité et de s’aimer un peu plus les uns les autres : il était plaisant pour un païen d’être chargé de leur prêcher les vertus chrétiennes. On sait du reste qu’il ne se faisait pas faute de les railler à l’occasion, et que notamment il se moquait volontiers du luxe qu’étalaient les chefs de l’église et des beaux revenus qu’ils trouvaient dans la piété des fidèles. Saint Jérôme rapporte qu’il disait un jour au pape Damase : « Nommez-moi évêque de Rome, et je me fais tout de suite chrétien. » Dans son parti, Prætextat est au premier rang ; c’est ce qu’atteste la place qu’il occupe dans les Saturnales de Macrobe. On sait que l’auteur de cet ouvrage, païen fort zélé, a tenu à y réunir les païens les plus importans de Rome. Il nous les montre à table, un jour de fête, faisant surtout grande chère d’érudition, et discutant