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conquises, elles entraînèrent leurs maris et leurs proches. Après ces grandes Romaines, les Léa, les Mélanie, les Paule, qui étaient de la race énergique des Cornélie et des Porcia, vinrent les Anicius, les Toxotius, les Pammachius, et peu à peu toute la noblesse suivit.

Mais ce mouvement commençait à peine à l’époque qui nous occupe. Non-seulement alors les païens étaient encore fort nombreux dans l’aristocratie romaine, mais il semble qu’ils étaient devenus plus dévoués à leurs dieux, plus attachés à leurs croyances, depuis qu’ils les sentaient menacés. Les inscriptions attestent qu’il y eut à ce moment une recrudescence de dévotion parmi ces grands seigneurs ; sur les monumens qu’ils nous ont laissés, leur piété s’étale avec complaisance et prend même quelquefois des airs provocans. En face des empereurs chrétiens, et comme pour les braver, ils se parent de tous les sacerdoces dont ils ont été revêtus ; ils tiennent à nous faire savoir qu’ils sont hiérophantes d’Hécate, prêtres d’Hercule, de Liber, d’Isis, d’Attis, de Mithra ; ils paraissent heureux de nous rappeler les mystères auxquels ils sont initiés et les sacrifices solennels qu’ils ont accomplis. En 1618, quand Paul V voulut bâtir la façade de Saint-Pierre, on trouva, dans une fosse profonde, un amas de débris provenant d’autels brisés et martelés. Ces autels étaient destinés à conserver le souvenir de tauroboles qu’on avait célébrés en cet endroit sous Valentinien Ier et Gratien. Nous pouvons lire encore les noms et les titres des gens qui se sont soumis à ce baptême de sang pour effacer leurs fautes : ils appartiennent aux plus illustres familles ; ce sont des consuls, des gouverneurs de province, des préfets de Rome, Ils paraissent animés d’une piété ardente, et se servent de termes mystiques qui ne sont pas ordinaires aux anciens cultes. L’un d’eux implore les dieux gardiens de son âme et de son esprit, dis animœ mentisque custodibus ; l’autre nous dit qu’il vient de naître à une vie nouvelle qui ne doit pas finir, in œternum renatus. — Quand on songe que ces sacrifices s’accomplissaient sur la colline du Vatican, au-dessus de la catacombe de Saint-Pierre, en face de la basilique que Constantin venait d’élever en l’honneur du prince des apôtres, on ne peut pas méconnaître que c’était une sorte de défi audacieux que l’ancienne religion adressait à celle qui voulait prendre sa place.


II

Les païens de Rome avaient donc un centre : ils se ralliaient autour du sénat. Ils avaient de plus des chefs : c’étaient les plus importans parmi les sénateurs, ceux qui, dans la noble assemblée, tenaient les premières places. J’en compte trois à ce moment, qui