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et il ne s’ennuie pas, comme on dit dans la langue du boulevard ; mais c’est nous qui bâillons. De même encore M. de Freydet, le candidat perpétuel, dont les lettres intime » ne sont pleines que de l’Académie, qui « se fait une tête pour les ducs, » a la grande joie de son ami Védrine, mais non pas pour la noire, et qui répond aux condoléances qu’on lui fait de la mort de sa sœur par des lamentations sur son fauteuil encore une fois manqué. Mais nous savons bien que les hommes ne sont pas aussi simples que cela, et pour nous y intéresser ou pour les trouver ressemblans, nous les demandons plus complexes. Non-seulement au sens vulgaire du mot, les personnages de M. Daudet ne sont point sympathiques, et dans son Immortel, il n’y en a pas un dont nous puissions partager les chagrins ou les joies, mais ils ne le sont pas davantage, en ce sens que d’eux tous on peut dire, comme de l’académicien Laniboire, qu’ils ne sont vraiment que des « guignols, » Comme un montreur de marionnettes, M. Daudet en tire les fils ; et ce qu’ils ont parfois de douloureusement comique n’est fait que de l’impassibilité rigide qu’on les voit conserver dans toutes les situations. Il n’y a pas d’événement qui puisse arrêter sur les lèvres du vieux Jean Réhu son éternel « J’ai vu çà ; » il n’y a pas de catastrophe qui empêche le professeur Astier de parler a dans un sévère coup de mâchoire, » Et grâce aux anecdotes, à la pailleterie et au clinquant du style, grâce peut-être surtout à la « nervosité » contagieuse de M. Daudet lui-même, tout cela se remue, s’agite, se trémousse, rit et parle, et a l’air de vivre ; mais cela ne vit point.

Oserai-je ajouter que quelques-unes des actions dans lesquelles on nous les montre, et qui sont tout exprès choisies, je le sais bien, pour les rendre odieux et ridicules, passent la mesure de la vérité ? Est-ce que le succès de la Terre aurait troublé le sommeil de M. Daudet ? et quelles sont ces crudités auxquelles en d’autres temps il ne nous avait pas habitués ? Ce grand fils, dès la première scène, qui surprend sa mère à sa toilette, et qui la défaille comme il ferait une de ses maîtresses, en admettant que celle-ci le lui permît, et sa mère qui lui répond sur le même ton ! Ou bien encore, à Mousseaux, cette duchesse, affolée du besoin d’aimer, qui se dépoitraillé devant Paul Astier, pour lui montrer à quel signe se reconnaît la jeunesse des femmes ! Ou bien encore, dans une loge du Théâtre-Français, l’entretien rapide et violent du même fils et de la même mère, brutalement terminé par une injure plus vulgaire encore que grossière ! Si M. Daudet croit avoir fait et fort » en nous retraçant de semblables tableaux, il se trompe ; et il a fait « gros » seulement, ce qui n’est pas du tout la même chose. Mais quel besoin, vraiment, en avait-il ? et pour produire les mêmes impressions, aussi vives, et mélangées de moins de répugnance, se peut-il qu’il se soit défié des ressources de son art ? Que n’a-t-il donc