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encore « le costume dessiné par David, » l’habit à broderies vertes et le chapeau à la française ; et qu’elle n’est point composée d’éphèbes, mais ordinairement de vieillards, dont il y en a même qui ne sont point beaux. Celui-ci, par exemple, Gazan, a « le crâne inégal, » et le « masque terreux et squameux d’un proboscidien, » celui-là, Laniboire, a « la bouche tordue d’un guignol hémiplégique ; » et il est malheureusement certain, comme l’a fait observer M. Jules Lemaître, que « la nature n’a pas donné à tout le monde de noirs cheveux bouclés, un nez d’une fine courbure, de longs yeux, une tête charmante et toujours jeune de roi sarrazin. » Moi, je n’ai jamais vu de jeune roi sarrazin. Que si maintenant à ces traits de caricature, plus dignes de feu André Gill que de M. Daudet, vous ajoutez un dernier reproche, qui est que les écrivains qui songent à l’Académie risqueraient, en y songeant trop, de ne pas écrire la Terre ou la Fille Elisa, vous aurez la somme des griefs de M. Daudet contre l’Académie. Cette coupole est un éteignoir ; et M. Daudet lui-même, s’il l’eût eue sur la tête, n’eût pas osé nous montrer, dans le tombeau des Rosen, la princesse, quoique née Sauvadon, échangeant de « lents et profonds baisers » avec son architecte. Reste à savoir s’il y eût perdu, M. Daudet, s’entend ; — et non pas l’architecte.

Mais où les Laniboire, et les Ripault-Babin, qui sont hommes, triompheront tout à fait, c’est quand ils se diront, et le public avec eux, qu’il faut bien que l’Académie soit quelque chose encore, et un peu plus qu’un « leurre » et qu’un a mirage, » pour qu’un écrivain de la valeur et du talent de M. Daudet laisse paraître ainsi son dépit de s’en être évincé. Oh ! je sais bien qu’il n’en conviendra pas ; et j’ajoute qu’il sera de bonne foi. M. Daudet ne s’est pas présenté, il ne se présente pas, il ne se présentera jamais. Comme son sculpteur Védrine, il a se moque du succès, du public et des prix d’Académie. » C’est le véritable artiste, à qui suffit sa conscience. Il n’a jamais écrit, comme il le dit encore, « que pour sa joie personnelle, pour le besoin de créer ou de s’exprimer. » Et s’il a peint sous les traits que nous disions ses Laniboire et ses Danjou, ses Desminières et ses Gazan, tant pis pour eux, c’est qu’il les a vus tels, et qu’il les a rendus comme il les voyait, et qu’il les a vus comme ils sont. Mais, après tout cela, le public est si malicieux, que tant de violence n’en passera pas moins pour un étrange effet de tant d’indifférence. Ne leur en voulant en aucune façon, ni de rien, que peut-être de croire qu’une histoire vaut bien un roman, — et l’œuvre même du sévère Henri Martin celle du joyeux Paul de Kock, — on se demandera de quelle manière l’auteur de l’Immortel eût donc arrangé nos académiciens, si par hasard il eût eu quelques raisons de leur en vouloir. Et on les cherchera, et on ne les trouvera point, mais on les supposera tout de