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I

Vers la fin du IVe siècle, la situation des païens semblait assez critique. Ils avaient traversé en cinquante ans des fortunes très différentes : tolérés par Constantin, proscrits par Constance, ils étaient redevenus, sous Julien, les maîtres de l’empire ; mais leur triomphe n’avait duré que deux ans. Après ce succès éphémère, dont ils n’avaient pas toujours bien usé, on pouvait craindre qu’il ne se produisît une réaction violente qui emportât l’ancienne religion, déjà fort compromise. Heureusement pour elle, le nouveau prince, Valentinien Ier, était un homme sage qui connaissait la situation de l’empire, et ne voulait pas ajouter des dissensions intérieures aux périls du dehors ; il revint à la politique de Constantin, et déclara, dès le début de son règne, « que chacun aurait la pleine liberté de pratiquer la religion qu’il avait choisie. » Pendant les douze années qu’il occupa le trône, il tint l’engagement qu’il avait pris, et ne poursuivit que les faiseurs de sacrifices secrets, les tireurs d’horoscopes, les diseurs de bonne aventure, qui, en donnant des espérances aux ambitieux, pouvaient nuire à la sûreté de l’état.

Du reste, la tolérance n’était guère moins défavorable au paganisme que ne l’eût été la persécution : il perdait tous les jours du terrain. Le monde allait de lui-même vers la nouvelle religion, qui répondait aux besoins secrets des âmes ; mais quoiqu’elle pût se passer, pour achever son triomphe, d’avoir recours aux moyens violens, on pouvait prévoir qu’elle ne résisterait pas longtemps à la tentation d’en user. Les évêques étaient impatiens d’en finir. Ils employaient le crédit dont ils jouissaient auprès des princes pour les déterminer à tourner contre le vieux culte les armes dont il s’était lui-même servi. Si Valentinien leur résista jusqu’au bout, ils furent plus heureux auprès de Gratien, son fils. C’était pourtant l’élève chéri du bel esprit Ausone, qui l’avait nourri des chefs-d’œuvre de l’antiquité. Il semblait que cet aimable jeune homme, doux et modéré de nature, aurait dû conserver de cette éducation à demi païenne le respect des institutions du passé et quelque complaisance pour les divinités de la fable ; mais il subit de bonne heure la puissante influence de saint Ambroise, qui le poussa d’un autre côté. On vit bien, dès son avènement à l’empire, les sentimens dont il était animé, quand il refusa de recevoir les insignes du grand pontificat, que, selon l’usage, les envoyés du sénat venaient lui remettre. Tous ses prédécesseurs, quoique chrétiens, avaient consenti à rester les chefs de la religion nationale ; il ne le voulut pas, et, pour la première fois depuis Auguste, on vit un empereur qui