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explique, en magnifique langage, qu’il n’est pas de vie future. Tout platonicien qu’il est, comme tel attaché au dogme de l’immortalité, Plutarque, dans sa Consolation à Apollonius, trouve l’hypothèse d’un retour au néant propre à calmer la douleur d’un père qui survit à son fils.

Mais alors comment rendre compte de cette croyance universelle que la personne humaine persiste après la dissolution de l’organisme ? Épicure n’est pas embarrassé ; la théorie des simulacres est là, toute prête à fournir une complaisante explication. Les prétendues âmes des morts, que la superstition populaire croyait si souvent voir apparaître, ce sont tout simplement des images, émanées autrefois des corps des vivans, et qui flottent dans l’air bien longtemps après que la mort a tout détruit.

Mais cependant le bonheur que promet et donne la sagesse ne paraitra-t-il pas imparfait de cela seul qu’il doit finir ? Quel est ce souverain bien qui n’a pas pour lui la durée ? — Épicure répond à cette objection par une théorie curieuse, dont M. Guyau signale avec pénétration l’importance. La durée, pour Épicure, n’ajoute rien au bonheur ; celui-ci est un tout complet qui se suffit à lui-même.

La volupté du sage ne saurait être plus grande dans un temps infini que dans un temps limité et court. M. Guyau rapproche cette doctrine de celle de Feuerbach, qui, lui aussi, nie l’immortalité personnelle, et prétend en étouffer le désir dans l’âme des hommes. « Chaque instant, écrit le philosophe allemand, est une existence pleine et entière, d’une importance infinie, satisfaite en soi, affirmation illimitée de sa propre réalité. » — « De même, disait Épicure, que le sage ne choisit pas la nourriture la plus abondante, mais la plus suave, ainsi il ne recueille pas une vie très longue, mais très suave. »

Cette théorie que le bonheur est intemporel, que l’éternité véritable est, si l’on peut dire, intensive, non extensive (c’est la doctrine de Spinoza, dans la cinquième partie de l’Éthique), nous paraît reposer sur une observation psychologique assez profonde. Il est certain que nous ne percevons le temps que par la succession de nos états de conscience. Un sentiment, une pensée où se concentrent toutes les énergies de l’âme, excluent donc toute perception de la durée. La méditation, l’amour divin, l’amour humain lui-même, ont de ces heures qui semblent n’avoir pas coulé, de ces extases qui épuisent l’éternité en un instant. Qu’importe ensuite le déroulement banal des impressions diverses qui nous ramènent à la conscience douloureuse d’une existence dispersée ? Là n’est pas notre être véritable ; il est dans cette pensée, dans cette émotion,