Nous ne pouvons entrer dans les détails d’un débat qui exigerait une discussion approfondie de textes dont l’intelligence n’est pas des plus faciles. Nous nous contenterons d’exposer l’opinion qui nous paraît la plus vraisemblable, et qui est, à peu de chose près, celle même de M. Mayor.
Il y a des dieux, et ils sont réels ; ainsi l’exige le consentement universel du genre humain, qui ne peut se tromper. Ces dieux sont en nombre infini : c’est une conséquence de la loi d’isonomie. Ils sont matériels, car rien n’existe que les atomes et le vide. Ils sont donc formés d’atomes extrêmement subtils, et la pensée seule peut les apercevoir. Ils sont éternels et bienheureux : ce sont là les privilèges essentiels de la nature divine. Bienheureux, comment le seraient-ils, s’ils n’avaient la raison pour comprendre leur bonheur et pleinement en jouir ? Mais l’expérience ne nous a jamais montré la raison qu’unie à un corps humain ; la forme humaine est d’ailleurs la plus belle : il y aurait impiété à ne pas l’attribuer aux dieux.
Ces dieux à forme humaine n’ont cependant rien de l’opacité et de la résistance des corps organisés que nous connaissons ; ils ont le contour plutôt que la solidité ; ils ont comme un corps, comme du sang. Ce qui ne les empêche pas de remplir les fonctions les plus essentielles de la vie ; ils mangent, non pour réparer leurs forces, mais parce que manger est un plaisir ; nourriture et breuvage sont d’une nature non moins subtile que les organismes divins auxquels ils sont appropriés. La différence des sexes existe entre eux ; Cicéron se demande ce qu’il en pourra bien résulter. Sans conversation, l’éternité paraîtrait bien longue : les dieux s’entretiennent en un langage qui ne diffère pas beaucoup du grec. Il est notoire, en effet, que tous les simulacres de divinités qui se sont montrés aux mortels parlaient grec.
Pour loger des corps d’une ténuité et d’une délicatesse si grandes, les mondes, avec leurs flux perpétuels d’atomes toujours voyageant et s’entre-choquant, sont bien agités : les dieux y recevraient des heurts qui briseraient leurs formes délicates, ou troubleraient tout au moins l’immobilité de leur béatitude. Mais il est des espaces vides, entre les mondes, où rien ne les dérangera : « Demeures tranquilles, dit Lucrèce, traduisant magnifiquement Homère, qui ne sont jamais ébranlées par les vents, que n’inondent pas les larges pluies, que respecte la neige condensée par un froid piquant, qu’entoure éternellement un éther sans nuage, où rit toujours une immense lumière épandue. » Ces divinités, mous les connaissons bien : ce sont celles que les poètes avaient accréditées auprès du vulgaire. Épicure les