pour cela. Il y avait des âmes, en petit nombre, qui aspiraient à un idéal de perfection morale, qui souffraient du vide qu’elles sentaient en elles-mêmes, et que rien ne pouvait remplir de ce qui les entourait. De ces âmes, les unes allaient au stoïcisme ; les plus douces se firent épicuriennes.
Sur deux points seulement, l’épicuréisme n’est pas en opposition avec le tableau que trace l’historien de la Grèce vers la fin du IVe siècle. Comme ses contemporains, Épicure est peu soucieux de la famille et de la patrie. Mais si l’on excepte Socrate, je cherche vainement quel est le philosophe en Grèce qui ait donné quelque importance, dans la vie du sage, aux affections et aux devoirs domestiques. Quant au patriotisme tel que l’entendaient les Grecs, plusieurs fois déjà la philosophie l’avait dénoncé comme trop étroit. Démocrite voulait qu’on se déclarât citoyen du monde ; le stoïcisme, le pyrrhonisme, la nouvelle académie, ne sont pas, dans leur esprit, beaucoup moins cosmopolites que l’épicuréisme.
Il semblait d’ailleurs, surtout depuis la secousse imprimée par l’expédition d’Alexandre au monde grec, depuis les grandes monarchies militaires fondées par ses successeurs, que l’ancienne cité, — avec son indépendance égoïste et jalouse, les orages de sa place publique, les violences de sa démocratie ou de ses oligarques, les luttes incessantes de ses partis, la tyrannie qui toujours la menace et qu’elle ne réussit pas toujours à éviter, — fût une forme de l’existence sociale définitivement condamnée. Dans la cité, le citoyen n’existe que pour l’état, et il n’existe qu’en tant que citoyen ; privé de sa patrie, il est mort socialement, il n’a plus ni foyer, ni droits, ni dieux. Pour lui, le citoyen de la cité voisine est un étranger ; c’est même un ennemi, si des traités spéciaux ou des associations religieuses ne garantissent pas la paix. Chaque ville, si minuscule que soit son territoire, s’enferme dans un isolement haineux. Vers l’époque de Platon et d’Aristote, l’idée d’une communauté de race entre les Grecs, d’une sorte de fraternité de nature entre tous les membres de la famille hellénique, élargit l’ancien exclusivisme ; mais on sent d’autant plus vivement l’antagonisme irréconciliable qui sépare les Grecs des Barbares. Aristote dit encore que ceux-ci sont nés pour être esclaves. Il conseille à Alexandre de traiter les Grecs en capitaine, les Barbares en maître ; d’avoir pour ceux-là la sollicitude qu’on doit à des amis et des parens, de procéder avec ceux-ci comme avec des animaux et des plantes. Cet antagonisme, par un nouveau progrès, devait disparaître, et ce fut la plus pure gloire d’Alexandre d’avoir été sur ce point rebelle aux recommandations de son précepteur. « Il ordonna à tous, dit Plutarque, de considérer comme leur patrie le monde, comme leur