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trouver pour chacun des orateurs un sourire intelligent et gracieux : c’est tout simplement de l’héroïsme. La cérémonie ne fut terminée que vers trois heures de l’après-midi : depuis sept heures du matin, nous étions sous les armes.

Tout n’était pas fini ; mais, les discours entendus, le reste devenait plus facile. Nous étions invités pour le soir à un grand dîner et à un spectacle de gala. Du dîner, je n’ai rien à dire : d’un bout du monde à l’autre, tous les repas officiels se ressemblent. On dirait vraiment que, dans cette pauvre humanité, si misérablement divisée, l’accord ne se soit fait que sur la cuisine.

Le spectacle m’intéressait davantage. Les théâtres sont assez nombreux à Bologne, comme dans, toutes les villes italiennes. L’exposition et le centenaire y avaient attiré plusieurs troupes de comédiens, qui, grâce à l’affluence des étrangers faisaient d’assez bonnes affaires. En fait de comédies et de drames, on ne jouait guère que des pièces françaises : c’était surtout l’Odette de M. Sardou, et l’Abbatissa di Jouarre de M. Renan, traduite, ou plutôt réduite par M. Panzacchi, qui excitait, à ce qu’on m’a dit, une assez grande curiosité. Ce goût pour notre théâtre n’est pas borné aux pièces d’aujourd’hui ; j’ai été fort étonné de voir qu’à l’étranger nos gros mélodrames d’autrefois, dont il n’est plus guère question chez nous, n’ont pas tout à fait perdu leur vogue. On jouait à Bologne Lazare le pâtre, et même, Dieu me pardonne ! ce Fualdès qui a épouvanté mon enfance. Sur une petite scène de genre, on donnait Orfeo nell’ inferno, du maestro Offenbach, et, pour rendre le plaisir plus piquant, l’affiche annonçait qu’on y verrait il cancan, all’ uso Parigino. On pense bien que ce n’est pas à un pareil spectacle que la ville invitait ses hôtes ; elle leur offrait un opéra. La troupe lyrique, une des meilleures de l’Italie, qui en ce moment donnait des représentations au théâtre communal de Bologne, ne jouait guère que deux pièces, qui n’étaient ni l’une ni l’autre d’origine italienne, les Pêcheurs de perles de Bizet, et Tristano e Isolta de Wagner : c’est cette dernière qu’on avait choisie.

Je me garderai, bien de rien dire de la musique de Wagner ; je n’ai aucune compétence pour la juger, et j’avoue d’ailleurs qu’après tant de fatigues, nous ne nous sentions pas dans les dispositions qu’elle réclame pour être bien goûtée. Ce n’est pas tout à fait un délassement que de l’entendre. Elle exige une force d’attention dont nous n’étions plus capables. Je me permettrai pourtant une réflexion, qui n’atteint pas le musicien, mais concerne l’auteur dramatique. Wagner, on le sait, se pique de renouveler le drame lyrique tout entier, les paroles comme le chant, et il est aussi fier de ses poèmes que de sa musique. Oserais-je dire que, si j’en juge par la pièce que j’ai entendue à Bologne, le novateur est souvent