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tout à fait perdus, et l’on n’a pas eu besoin de les retrouver. Nous avons la preuve qu’on les lisait, qu’on les commentait au moyen âge ; seulement on les lisait sans les comprendre. Le jour où les nuages qui s’interposaient entre eux et l’esprit des lecteurs se sont dissipés, où l’on en a repris la pleine intelligence, la renaissance a commencé. On peut soupçonner qu’il s’est passé quelque chose de semblable à propos d’Irnerius. La vieille fable qui raconte que l’unique manuscrit qui restait des Pandectes fut trouvé par les Pisans à la prise d’Amalfi, en 1135, et que cette découverte ranima l’étude du droit romain, est aujourd’hui abandonnée de tout le monde. Personne ne doute que les Pandectes n’aient été de tout temps connues et enseignées dans les écoles italiennes ; mais il est probable qu’Irnerius en saisit mieux qu’on ne le faisait avant lui et en fit mieux comprendre le véritable caractère. On raconte qu’il ne s’était pas occupé du droit dans sa jeunesse, et qu’il l’étudia tout seul, per se. Il eut donc l’heureuse fortune, en se passant de maître, d’échapper à toute cette routine de scholies et de commentaires, qui en obscurcissaient le sens ; il alla droit vers le texte, et n’employa que sa raison pour l’expliquer. C’est ainsi qu’il se remit en communication directe avec Rome, et qu’il la vit comme elle était. Elle lui apparut par ce qu’elle a de plus original, parce qui est son domaine propre, la jurisprudence. De cette façon, il eut d’elle et il donna aux autres une idée vraie. C’est le premier pas qu’on ait fait vers la connaissance exacte et vivante de l’antiquité.

Le succès de cet enseignement fut immense. Les jeunes gens d’aujourd’hui, auxquels on inflige l’étude du droit romain et qui s’y résignent de si mauvaise humeur, auront quelque peine à comprendre l’enthousiasme qui saisit leurs prédécesseurs, la première fois qu’on leur expliqua, à la manière d’Irnerius, le Code de Théodose ou les Institutes de Justinien. Il faut dire que les circonstances étaient singulièrement favorables à cette étude. L’époque était sombre ; le monde ressemblait assez à un champ de bataille ; les villes se disputaient entre elles, et, dans chaque ville, les partis étaient toujours prêts à se déchirer ; il n’y avait de droit que la force, et personne ne se croyait sûr de sa fortune et de sa vie. Comme il arrive d’ordinaire, les misères du présent faisaient naître le regret du passé. Au milieu de ces guerres qui ne laissaient aucun repos, on se souvenait avec envie de la a paix romaine ; » parmi tous ces petits souverains impuissans à contenir leurs voisins et à se faire respecter de leurs sujets, on songeait à cette autorité vigoureuse qui, de Rome, maintenait l’ordre dans tout l’univers. « Quand les Romains étaient maîtres du monde, disait-on, ils le gouvernaient par la loi écrite, et personne ne se permettait de faire ce que la loi avait défendu. » L’effort de tous les gens sages tendait à