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congrès dans l’exercice d’un pouvoir dont les limites sont si difficiles à tracer.

Mais que les libertés individuelles viennent à être menacées par ce même exécutif, qu’elle sait au besoin défendre d’une main si ferme, la magistrature américaine se souviendra que sa mission auguste est de protéger les citoyens et de sauvegarder leurs intérêts légitimes. En pleine guerre civile, elle saura protester contre la suspension de l’habeas corpus et le régime des cours martiales infligé par le président Lincoln aux états restés fidèles à l’Union. Si les luttes armées, ne lui permettant plus de remplir efficacement son rôle pacifique, la réduisent à confesser l’impuissance du droit contre la force, elle pourra du moins se rendre le témoignage de n’avoir pas failli à son devoir. « J’ai usé de toute l’autorité que me confient la constitution et les lois, dira-t-elle par la bouche du chief justice Taney, mais une force que je n’ai pu faire céder a paralysé mon pouvoir. »

De son côté, la puissance législative, dans la personne collective des législatures locales et du congrès, a vu ses actes confirmés ou annulés par de nombreux arrêts judiciaires. Même les lois d’impôts et de finances sont débattues à l’occasion devant les tribunaux. Rien de ce qui constitue partout le domaine plus spécial du législateur n’échappe, en Amérique, à l’examen et au contrôle éventuels du juge.

Le congrès possède-t-il le droit de créer une banque nationale ? Cette question passionne les esprits et divise le pays en deux camps hostiles. Les partisans des immunités provinciales, arguant que tout pouvoir non expressément conféré au gouvernement de l’Union lui est par là même refusé, déclarent l’institution illégale. Au contraire, les fédéralistes la proclament indispensable pour assurer l’unité de l’administration financière ; ils invoquent la clause élastique de la nécessité. La cour suprême reconnaît en effet que l’établissement de la banque est constitutionnel, comme nécessaire à la bonne gestion du trésor fédéral, et compris en conséquence parmi les pouvoirs implicites du congrès[1].

En 1758, sous le régime colonial, la législature du New-Jersey abandonne certaines terres aux Indiens, avec le bénéfice de l’exemption des taxes. Ces propriétés sont légalement vendues en 1803 à des acquéreurs de race blanche. Peuvent-elles, dès lors, être imposées, ou le privilège sera-t-il maintenu ? Les chambres représentatives locales ordonnent de faire inscrire les terres sur le rôle des

  1. On désigne sous le nom de pouvoirs implicites ou incidens ceux qui sont nécessaires à l’exercice des pouvoirs formels, explicites ou énumérés, et que ceux-ci supposent en quelque sorte implicitement.