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que de hontes elle subira avant que ses souillures soient allées se noyer dans une auréole de sainteté ! Presque tous les dieux de Syrie y seront adorés, selon le caprice des rois. Iahvé, ce dieu jaloux, y aura des parèdres peu dignes de lui. La politique y entrera avec son cortège de crimes. Toute l’histoire de cet édifice portera l’empreinte de ses origines. Œuvre d’un souverain profane, éclectique en religion, toujours en lutte contre l’esprit général de la nation, le temple de Salomon rappelle un peu l’église de Ferney : Deo erexit Voltaire, lit-on sur le fronton d’un édifice devenu un grenier à foin. Le temple, si nous pouvions le voir, nous apparaîtrait probablement comme un magasin de décors poudreux ; il faudra des siècles pour qu’un véritable sentiment de piété se produise autour de ces machines de théâtre. Ce qui consacre une église, ce sont les saints ; or ce temple, tout d’abord, les saints s’en détournèrent ; les prophètes ne le bénirent pas ; les vrais héritiers des anciens patriarches, les continuateurs de leur esprit simple et fort, vont bientôt le maudire. Comme le Saint-Pierre de Rome de Jules II, il sera l’occasion d’un schisme. Le vrai iahvéiste, à la rue de ce petit naos, orné intérieurement à la manière d’un sérail, se dira en lui-même : « L’autel de pierres non taillées, en plein air, valait mieux que cela ! »


V

L’influence égyptienne, qui est si évidente sous Salomon, se borna, dans l’ordre des choses religieuses, à l’idée même du temple et au style de cet édifice. Certainement, la croyance que Iahvé résidait dans le debir, entre les keroubs, devait entraîner des conséquences. Un temple est toujours le principe d’une grande matérialisation du culte. Le temple suppose au dieu qui y demeure des besoins plus ou moins humains. Dès que le dieu a une maison, il est naturel de lui rendre cette maison commode et agréable. Les pains de proposition, adoptés par les Hébreux pour leurs sanctuaires, dès une époque fort ancienne, représentaient, comme idée première, la nourriture du dieu, la table richement servie que les Égyptiens mettaient devant tous les êtres divins. Dans les sacrifices des hauts lieux, de telles offrandes n’étaient pas nécessaires ; le dieu, c’est-à-dire l’air, le ciel, le feu cosmique, mangeait directement la viande de la bête immolée. Le dieu qui demeure dans un espace clos a d’autres besoins. Mettre devant lui les pièces de viande et les y laisser jour et nuit eût entraîné d’affreuses putréfactions. Des pains, symétriquement rangés, parurent remplir le même office. Les offrandes des prémices semblent, à cette époque ancienne, avoir été peu réglées. Il est possible qu’on les déposât dans la cella, d’où les prêtres les enlevaient nuitamment.