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Le ministère de lord Salisbury ne laisse point, avec tout cela, d’avoir une existence laborieuse et précaire ; il est obligé de mettre autant de diplomatie dans les affaires parlementaires que dans ses affaires extérieures. Il ne peut faire un pas sans s’exposer à froisser les conservateurs, qu’il représente au pouvoir, ou à s’aliéner les libéraux unionistes, qui sont ses alliés, qui ne lui prêtent qu’un appui limité et conditionnel. Ce qu’il y a de particulièrement clair, c’est qu’il n’a pas réussi dans sa politique de répression à outrance en Irlande, et qu’il retrouve sans cesse, sous toutes les formes, devant lui, cette éternelle et irritante question ; il la retrouve dans le parlement comme en Irlande. Il a beau multiplier les rigueurs, faire condamner les chefs irlandais, comme il l’a fait récemment encore pour M. Dillon : on lui répond par des manifestations en l’honneur des condamnés, par une résistance que rien ne décourage, par une agitation dont aucune sévérité ne peut avoir raison, et la question reste toujours aussi inextricable. Il n’y a que quelques jours, un nouveau débat, des plus sérieux, des plus vifs, s’est engagé dans la chambre des communes : il a été soutenu par M. John Morley, par M. Gladstone lui-même, par les chefs irlandais, M. William O’Brien, M. Sexton, qui se sont efforcés de démontrer l’impuissance de la politique de répression, et qui proposaient une motion de censure contre le gouvernement. Les orateurs ministériels, M. Goschen, M. Balfour, le secrétaire d’état pour l’Irlande, n’ont pu se défendre qu’en invoquant l’autorité de la loi qu’ils ont faite, l’intérêt britannique. Ils sont tout prêts à avouer, si l’on veut, que par la coercition, ils ont peu de chances de conquérir les sympathies de l’Irlande pour l’Angleterre ; ils ne sont pas moins résolus, ils l’ont déclaré, à aller jusqu’au bout, pour maintenir l’ordre, pour rétablir la paix, — qu’ils ne rétablissent malheureusement pas du tout ! La motion de censure proposée par M. John Morley, et soutenue par ses amis, a été sans doute encore une fois victorieusement repoussée. Le ministère a gardé sa majorité, et sur cette malheureuse question, il est provisoirement sûr de l’avoir avec l’appui des libéraux unionistes, de lord Hartington, de M. Chamberlain. Le ministère a la majorité dans le parlement ; mais l’aura-t-il longtemps dans le pays ? Ne distingue-t-on pas une sorte de mouvement d’opinion dont les unionistes, aussi bien que les conservateurs, pourraient être les victimes ?

Il y a eu, depuis quelque temps, plusieurs élections à Southampton, à Ayr en Écosse, et ce sont des libéraux amis de M. Gladstone qui ont été élus. Ces jours passés encore, l’île de Thanet, dans le comté de Kent, avait à nommer un représentant, et la majorité des conservateurs, qui jusqu’ici était toujours considérable, s’est trouvée cette fois singulièrement réduite. La politique du home-rule, qui fut une des causes de la défaite des libéraux et du ministère Gladstone aux der-