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ses agens chez l’imprimeur, M. Paul Dupont, chez un publiciste distingué, M. Eugène Dufeuille. Rien n’a manqué. Seulement, c’est une opération aussi parfaitement vaine que violente.

Qu’on remarque d’abord ce qu’il y a de singulièrement puéril dans ces mesures. Est-ce qu’on arrête aujourd’hui au passage une lettre, un manifeste ? Ce qui ne va pas à son adresse sous l’enveloppe scellée d’une lettre est répandu partout, par cent journaux, même par les journaux amis de M. Floquet. On n’a rien fait, on n’a réussi qu’à donner peut-être un plus grand retentissement à ce qu’on a eu l’air de vouloir supprimer. Et pour se procurer le plaisir de cette campagne inutile, pour arrêter des correspondances privées ou politiques à la poste, pour faire des saisies chez des particuliers, sur quoi se fonde-t-on ? Quel droit peut invoquer le gouvernement ? Ce droit, ses jurisconsultes les plus éminens le lui dénient ; les lois, que les républicains eux-mêmes ont faites, le lui refusent. Il n’est écrit nulle part, il est rayé et supprimé dans toutes les lois. Que reste-t-il donc ? Voilà le point vif ! Il reste, à ce qu’il paraît, le droit de haute police, la raison d’état, la faculté discrétionnaire, l’arbitraire dans un intérêt supérieur dont on est seul juge. C’est à merveille ! Mais alors pourquoi s’indignait-on si violemment contre le dernier empire, qui ne faisait rien de plus, qui mettait, lui aussi, le droit supérieur au-dessus de la loi ? Pourquoi M. Floquet lui-même signait-il de si belles consultations qu’on peut aujourd’hui tourner contre lui ? Les républicains ne s’aperçoivent pas qu’ils ne sont que les plagiaires peu habiles de tous les régimes discrétionnaires, qu’ils s’exposent à passer aux yeux du pays pour des hâbleurs qui ne respectent pas plus la liberté que la dignité de la justice ; ils ne voient pas que c’est par eux, par leurs procédés, par leurs excès, par leurs passions désorganisatrices, que la république a été conduite à cette crise où elle se débat aujourd’hui entre l’anarchie d’une révision révolutionnaire et les emportemens frivoles de l’arbitraire administratif. Et s’il fallait un exemple de plus de ce mélange de violence et d’impuissance qui-est au fond de la situation, il est d’hier ; il est dans cette séance tumultueuse, incohérente, désordonnée du Palais-Bourbon, où une scène d’invectives entre M. le général Boulanger et M. le président du conseil s’est terminée par la démission du député du Nord, sans que le gouvernement en soit plus fort. Elle ne prouve rien, sans doute, cette scène humiliante pour le régime existant ; elle ne prouve qu’un état de confusion inextricable qu’une fausse politique a créée et qu’une fausse politique ne relèvera pas. Et voilà encore de quoi célébrer le nouveau 14 juillet !

Tout est incertain aujourd’hui, on ne le sent que trop, en Europe comme en France, quoique par d’autres raisons, et le monde est réduit à vivre dans l’attente des événemens. Ce n’est point en un jour, sans doute, ce n’est point surtout vraisemblablement à cette saison,