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la bru de l’électeur de Hanovre ; aventure contrariée par la comtesse de Platen, ancienne maîtresse de Philippe et toujours maîtresse de l’électeur. « La comtesse Frédégonde, » c’était précisément cette furieuse personne : rien de mérovingien dans l’affaire ! A vrai dire, la pièce était moins dramatique, cette fois, que l’histoire : elle en conservait l’esprit, elle n’en rendait pas l’horreur. Elle reproduisait assez bien cette petite cour germanique du XVIIIe siècle, où régnait la barbarie en perruque Louis XIV ; elle ne montrait pas avec assez de force la fin de Kœnigsmarck, cette réalité qui semble inspirée de Shakspeare : l’homme d’épée pris au piège, garrotté, presque étranglé, renversé sous la bouche d’une lady Macbeth amoureuse, qui le somme d’avouer le crime de sa rivale, — (et fièrement, les yeux dans les yeux, lui criant au contraire l’innocence de la jeune femme… Il y a là, toute faite, une scène de torture auprès de laquelle, en vérité, celle de la Tosca n’est qu’un jeu. Amigues ne l’avait pas transcrite pour le théâtre. Écrivain politique d’une certaine éloquence tribunitienne, il avait manqué d’expérience et de loisir pour composer une pièce. Il n’avait donné, de son vivant, qu’un Maurice de Saxe, en collaboration avec M. Marcelin Desboutin, excellent graveur à la pointe sèche : on assure que ce drame avait des beautés bizarres ; on assure aussi qu’il était mal construit. La Comtesse Frédégonde, pareillement, avait un air d’incohérence : entre les sommets de l’action, disposés un peu au hasard, on trouvait de grands espaces de nuages. Le style, d’ailleurs, échauffé par l’imagination, jetait çà et là un assez vif éclat ; presque partout, la langue demeurait incertaine, incolore ou mal à propos changeante. Mais je me souviens que, vers le milieu de la soirée, un frémissement d’aise courut par tout l’orchestre ; oui, les têtes ondulèrent, les mains firent tapage. Qu’était-il arrivé ? M. Brémond était en scène, — M. Brémond, un jeune ténor (il avait chanté le rôle de Rip, récemment, aux Folies-Dramatiques), ancien prix de tragédie ou de comédie, ancien pensionnaire de l’Odéon : il jouait le personnage de Kœnigsmarck, et, pour le moment, il menaçait de son épée de joyeux seigneurs qui, dans une fête costumée, faisaient mine de démasquer sa belle. Or donc, à la fin d’une tirade lâchée par M. Brémond, ce vers s’était envolé dans la salle :


Le morceau de velours qui couvre ce front pur !


Voilà l’événement ! — Défense était faite d’y toucher, à ce morceau de velours ; mais ce n’est pas la crânerie de cette défense qui charmait l’auditoire, non, il faut l’avouer, c’est le bruit mélodieux qu’elle faisait en passant… Croyez-vous l’entendre, avec ses nombreux e muets, avec sa diphthongue achevée en vibration à l’hémistiche, avec sa fine voyelle achevée de même à la rime, le tout détaillé, roucoulé