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VII

La haine entre les classes, le despotisme du nombre, la notion de l’état absorbant l’individu et opprimant la conscience, tel est le bilan des idées révolutionnaires.

Nous sommes loin du libre vote de l’impôt périodiquement débattu, de la division en deux chambres, de la liberté individuelle garantie, du gouvernement pondéré, en un mot, que souhaitaient Mounier et les Dauphinois en 1788. Ce sont les vrais, les immortels principes, les seuls qui aient fait le tour de l’Europe civilisée.

Tout ce que nous avons eu de sage et de modéré en ce siècle : hommes et gouvernemens, en procède directement. Les chartes constitutionnelles nous assurant plus de trente ans de régimes libres, des orateurs comme Royer-Collard et Victor de Broglie, des ministres comme de Serres et Martignac, Casimir Perier et Montalivet, Thiers, Dufaure et Rémusat luttant à la fois contre les ultras de droite et les ultras de gauche, les uns soutenant, les autres fondant sur ce double effort un gouvernement libre, étaient inspirés par le véritable esprit de 89. C’est à ce foyer de lumières, d’ardeurs généreuses, d’éloquence au service du bon sens que nous devons réchauffer nos courages. Nous apprendrons des mêmes maîtres quelle tâche nous devons accomplir.

Le programme de 1788, dont nous essayons de tracer les lignes, est-il lui-même réalisé ? Nos mœurs publiques sont-elles en déclin ou en progrès ? Nous sommes-nous souciés de l’éducation politique du pays ? Avons-nous cherché les meilleurs moyens de faire entrer dans les assemblées cette élite intellectuelle qui est seule capable de faire vivre un gouvernement libre ? La république a-t-elle institué, cent ans après la prise de la Bastille, quelque garantie de la liberté individuelle digne de l’habeas corpus ? A-t-elle aboli l’article 10 du code d’instruction criminelle, arme de tous les despotismes, permettant toutes les violations des lois[1] ? A-t-elle ouvert un recours contre les abus de pouvoir ? A-t-elle mis un terme aux déclarations d’incompétence, à ces conflits négatifs entre l’autorité judiciaire et le conseil d’état qui constituent de scandaleux dénis de justice ? N’a-t-elle pas, un siècle après les lettres de cachet de Brienne, à rougir de lois d’exception et d’un exil qui les rappelle ? Le libre vote de l’impôt, qui est le plus efficace de nos droits, est-il accompagné des plus sûrs moyens d’empêcher le désordre de nos finances,

  1. Une commission de jurisconsultes, instituée et présidée par M. Dufaure en 1878, a proposé l’abolition de l’article 10 qui investit les préfets de la police judiciaire. Cet article est encore en vigueur, et, loin de l’abolir, on l’applique, — comme sous l’empire, — à des saisies administratives.