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Entre l’arrêt du parlement réclamant les états-généraux et l’assemblée de Vizille, une année se passe, toute consacrée à des luttes en apparence stériles, qui, en réalité, contiennent en germe toutes les passions ; l’autorité de la cour décline, celle des magistrats s’accroît, et ils l’emploient à faire l’éducation révolutionnaire de la France. Refus d’enregistrer, lettres de jussion, lits de justice, protestation, exil, puis rappel du parlement, tous les actes publics des magistrats en faisaient les défenseurs des contribuables et du libre vote de l’impôt. De maladroites arrestations les rendirent tout d’un coup les champions de la liberté individuelle. L’émotion gagna les parlemens de province. Le ministère résolut de les frapper tous à la fois. Un coup d’état fut décidé ; enlever aux parlemens le droit d’enregistrement et une part de leurs attributions judiciaires ; confier la vérification des édits à une cour plénière et la compétence à de grands bailliages, joindre à ces mesures toutes politiques des réformes généreuses, telle que l’abolition des vestiges de la torture, tel était le plan mal conçu qui fut annoncé en un lit de justice tenu à Versailles le 8 mai 1788.

Les parlemens protestèrent : partout la noblesse prit parti en leur faveur ; à Pau et à Rennes où les parlemens étaient populaires, où les états de Béarn et de Bretagne avaient une grande influence, à Grenoble, où les états de Dauphiné, supprimés en 1628, avaient laissé de profonds souvenirs, des émeutes éclatèrent. Comment résister ? Le corps d’officiers partageait les sentimens de la noblesse, la foule entourait les soldats, les chefs eux-mêmes, commandans de province ou intendans, s’excusaient humblement de la mission qu’ils étaient contraints d’accomplir. L’émeute du Dauphiné fut la plus vive ; des lettres de cachet avaient exilé les magistrats : Grenoble réinstalla de force son parlement ; le sang coula dans « la journée des Tuiles. »

Pour le ministère, ces symptômes précurseurs n’étaient que des incidens inévitables et sans portée. L’incurable optimisme de Brienne essayait de s’en accommoder : il répétait que le ministère aurait le dernier mot. D’ailleurs que pouvaient faire les parlemens ? N’avaient-ils pas épuisé tout leur arsenal de remontrances ou d’arrêts ? La lutte semblait finir faute de combattans. De la fatigue générale allait naître la paix. Ces illusions étaient les dernières : elles devaient être promptement dissipées.


III

Ce fut le Dauphiné qui se chargea de recommencer les hostilités. Il s’y trouvait des âmes fières et capables de prendre des résolutions viriles. Dans les heures troublées, il suffit d’un seul homme pour