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jour, si elle parvient à rejeter le poison qui la tue. Jusque-là, elle est condamnée à un supplice digne des enfers. Nouveau Sysiphe, elle s’épuise à rouler son rocher, sans parvenir jamais à trouver l’équilibre. Si la France ne revient pas en arrière, si elle n’abjure pas ses erreurs, si elle ne maudit pas tout ce qu’elle a adoré, elle est à jamais perdue.

Tel est le double thème de tous nos déclamateurs politiques ; chacun des anniversaires va être salué des mêmes enthousiasmes, auxquels répondront les mêmes malédictions. De chaque camp sortiront des cris de colère ! Des docteurs de la science politique, se disant modérés, professeront gravement qu’un gouvernement pondéré n’est possible que s’il n’est pas attaqué, que tout le mal vient des anciens partis, que la liberté ne pourra être édifiée que sur leurs ruines. La France ne sera sauvée, elle ne sera gouvernable que si la faction adverse disparaît, si elle est réduite à néant. « Écraser ses adversaires, c’est le mot d’ordre de chaque parti. » Parole détestable qui résonne comme le clairon de la guerre civile ! On n’écrase pas ses adversaires. Si la force convertissait les nations, la Convention aurait dû réussir. On sait comment elle avait supprimé ses ennemis : tous ceux dont elle n’avait pas fait tomber la tête avaient émigré. D’où sortait donc la majorité royaliste des élections de l’an V ? Si la force convertissait les nations, la France eût été bonapartiste en 1814. Si la force avait une vertu quelconque sur les hommes, aucun de nos gouvernemens ne serait tombé. Dira-t-on que la Convention a usé d’armes trop faibles ; que le premier empire n’a pas voilé le despotisme d’assez de gloire, que le second n’a pas appelé à son aide le poids écrasant des votes populaires ? Tous les moyens ont été mis au service de la force : la terreur pour plier les âmes, la victoire pour les séduire, l’habileté pour les corrompre, et rien n’a prévalu. Ne parlez donc plus, quelles que soient vos préférences, d’écraser vos adversaires : le moyen ne réussissait même plus au XVIe siècle. Il faut se résigner à les convaincre. C’est beaucoup plus long, mais chacun y gagne. Dans les temps où nous entrons, il n’est inutile pour personne de savoir un peu mieux d’où vient notre société contemporaine. Cette étude aidera peut-être à découvrir quels sont les principes de bon sens sur lesquels on peut la rétablir.

Elle est née de l’antique alliance du peuple et du roi, réunissant leurs forces contre la noblesse. Depuis l’affranchissement des communes jusqu’à Louis XIV, l’effort contre la féodalité a été continu. Le tiers-état s’est formé à cette rude école : le souverain, chef de l’armée, vivant et combattant au milieu des seigneurs, aurait abandonné plus d’une fois le tiers à ses seules forces ; François Ier ne se souciait guère du peuple, les Valois préféraient leurs plaisirs ; mais