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l’enthousiasme croîtra avec la foule ; il n’y aura pas assez d’admirations pour les vainqueurs de la Bastille, assez d’opprobres pour les vaincus. On aura soin de laver certaines taches, de voiler certaines images. Puis le temps marchera ; les souvenirs deviendront de plus en plus sombres : 10 août, 2 septembre, heures néfastes qui retentissent à nos oreilles et qui trouveront, elles aussi, des flatteurs et des courtisans. Ce n’est pas tout : nous devrons expier une à une nos humiliations, revoir l’année 1793, non pas aux frontières où battait le cœur de la France, mais au tribunal révolutionnaire, et au moment où nous souffrirons le plus, il nous faudra supporter les cris de joie et les cris de haine.

A la veille de cette représentation poignante, l’heure n’est-elle pas favorable à une étude sérieuse ? Au milieu de la mêlée des passions contemporaines, qui sont l’écho des colères du passé, nous pensons qu’il y a place pour un jugement étranger à tout esprit de parti, aussi éloigné des acclamations banales que des condamnations sans merci. A des tableaux de fantaisie, il est temps d’opposer les faits. Aux flatteries qui corrompent, il faut substituer les leçons qui éclairent. Chercher le vrai, le découvrir, le dire à propos, s’en souvenir toujours, en tirer un plan de conduite, telle est la seule règle de la sagesse, tel est le devoir de l’histoire en des temps troublés.


I

De toutes les secousses de l’humanité, la plus mystérieuse, la plus fertile en contrastes, est assurément la révolution. Procédant à la manière des religions, elle a excité le fanatisme, fait des prosélytes, créé une propagande ; elle a ses légendes, ses saints et ses martyrs. Que de braves gens obscurs sont persuadés qu’elle porte en elle le secret qui assurera la rénovation de nos destinées ! Aussi toutes les réformes, pour devenir populaires, ont-elles soin de prendre cette étiquette. Tous les ambitieux s’en servent, tous les candidats l’exploitent. Autrefois, il y avait beaucoup de traditions en France ; de notre temps, il n’y en a que deux : la révolution et le pouvoir absolu. A y regarder de près, les deux termes ont toujours le même sens : pour être acclamé, un César doit se déclarer le soldat de la révolution. Au fond, la masse du peuple croit volontiers que tout date de 1789, son affranchissement, son histoire et sa vie.

À cette popularité prodigieuse répond une haine égale. La France, la vraie, la seule digne d’hommage, a péri en 1789. Victime d’un principe de mort, elle porte dans son sang un venin fatal ; elle n’a plus rien de ce qui a fait sa gloire. Elle se retrouvera peut-être un