s’agissait de choses saintes, les leçons se donnaient dans une église, San-Stefano, près du Ponte Vecchio. Elles furent interrompues au bout de trois mois. Il survint à Boccace une cruelle maladie de peau, qui n’était point la gale, comme le disent la plupart des historiens[1]. Pétrarque, dont les préjugés contre les médecins étaient invincibles, avait longtemps obtenu de lui qu’il souffrit sans leur secours. Il eût peut-être mieux fait de persévérer dans cette résolution. Nous apprenons en effet qu’ils lui firent subir un traitement atroce, le torturèrent avec des ventouses scarifiées, et le laissèrent dans un grand état de faiblesse. Il n’était plus que l’ombre de lui-même, et ceux qui ne l’avaient pas vu depuis quelque temps ne le reconnaissaient pas. Il ne pouvait presque pas remuer, et ne quittait plus Certaldo.
Coluccio Salutati, qui venait parfois l’y voir, nous apprend le peu que nous savons sur ses dernières années. Il ne vit jamais de vieillard plus aimable ni plus gai. Boccace échangeait ses dernières lettres avec Pétrarque, qui finissait sa vie, lui aussi, dans sa solitude d’Arqua. Boccace lui cherchait encore quelques petites querelles, comme c’était sa coutume, mais sans que leur amitié en souffrît. Ces deux mourans restaient jeunes et vivans, par l’amour des lettres et de la vérité. Ils étaient détachés de toutes choses et se préparaient à la mort.
C’est alors que le Décaméron tomba dans les mains de Pétrarque, et son esprit, tourné à l’universelle indulgence, le jugea, comme j’ai dit, sans rigueur. Son âme si pure prit un plaisir extrême aux angéliques aventures de Griselda. Pensant plaire à Boccace et lui montrer le cas qu’il faisait de son récit en le revêtant d’une forme immortelle, il traduisit la Nouvelle en latin. Sur ce beau témoignage finit cette grande amitié.
Les nouvelles étaient lentes à venir à Certaldo, et Pétrarque était mort depuis deux mois, quand une lettre de Francesco di Brossano en apprit la nouvelle à Boccace. Rien qu’à la vue de l’écriture de Brossano, Boccace devina la terrible nouvelle. Il eut une profonde douleur, et ne s’occupa plus désormais que de réunir les œuvres de son ami. Pétrarque en mourant ne l’avait pas oublié ; le legs qu’il lui faisait était familier et délicat : « A Giovanni de Certaldo, avait-il écrit dans son testament, je laisse (et j’ai honte que ce soit une si petite chose pour un si grand homme), cinquante florins de
- ↑ Les passages trop courts où il parle de sa maladie ne suffisent pas pour établir un diagnostic certain. Cependant, de l’avis d’un savant médecin auquel je les ai soumis, son affection de peau n’était certainement pas la gale. Le plus probable, c’est qu’il était atteint du diabète, et toutes les souffrances diverses dont il se plaint devaient provenir de cette cause unique.