et charmante. Ils ont aux yeux de l’artiste la valeur de ces fresques de la première renaissance dont le sens caché n’a jamais pu être pénétré. Les sources de l’inspiration sont si communes, aux XIVe et XVe siècles, entre les poètes et les peintres, qu’il est naturel de les comparer. Dante fait songer aux vastes compositions religieuses qui s’étendent sur les murs des campi santi et des églises. Mais Boccace, en avance sur son siècle, fait prévoir les exquises allégories mythologiques du XVe siècle. En lisant l’Ameto ou la Vision amoureuse j’ai eu devant les yeux une fresque de Gozzoli, un tableau de Mantegna. J’ai vu passer, sur un riche paysage de tapisserie fleurie, parmi des arbres sveltes et de gracieux animaux, ces figures élégantes dont le regard profond et l’inexplicable sourire plongent l’âme en un trouble délicieux.
Cet art sort d’élémens connus, d’histoires françaises et de traditions italiennes, de légendes populaires et de lectures antiques : Benoît de Sainte-More y a sa place, et Virgile, les Siciliens et les Provençaux, le dogme chrétien et les mythologies, les poèmes de la Table-Ronde, les romans grecs et les historiens romains. Boccace n’a rien inventé : il n’est dans son art ni le premier ni le seul. On n’est jamais cela : le premier est toujours imparfait ; le seul tomberait dans l’oubli. Un grand artiste résume le travail des siècles. Avant Boccace, les Français avaient écrit de longs récits romanesques, qui, malgré leurs beautés, n’ont pas mérité de rester les types d’une littérature, comme la Fiammetta et la Vision amoureuse. Boccace n’a même point inventé une forme poétique nouvelle. Les Provençaux avaient épuisé tous les artifices de la métrique. On ne peut même lui attribuer l’honneur d’avoir créé le huitain épique, cette belle et sonore ottava rima que l’Arioste devait illustrer. En reste-t-il moins le fondateur de l’épopée italienne, moitié romanesque et moitié plaisante, l’ancêtre des Pulci et des Arioste ? Et parce qu’il n’est ni le premier ni le dernier à avoir raconté des histoires, pour le plaisir de raconter, ad narrandum, non ad probandum, ne garde-t-il pas une place à part parmi ceux qui se sont livrés à ce charmant plaisir d’esprit ? D’élémens disparates, mal digérés par un jeune marchand florentin, il est sorti des œuvres, déraisonnables à coup, sûr, maladroites quelquefois, mais frappées du sceau d’un art nouveau. Nous arrivons à une de ces heures marquées pour l’esprit humain, où du long mélange des races et des pensées sort l’expression complète d’un idéal.
Boccace, plus que tout autre, a fourni la matière à ceux qui, après lui, ont voulu écrire pour toucher ou divertir, pour le rire ou les larmes. On le retrouve dans Chaucer, Hans Sachs, Lope de Vega, Shakspeare, La Fontaine, Musset. Des histoires vieilles comme nos