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profession où le latin était d’un bon profit, et d’en faire un homme de loi. Après le métier de banquier, ceux de notaire ou d’avocat étaient parmi les plus lucratifs. Boccace avait seize ans. Son père, toujours en voyage pour les affaires de la maison des Bardi, faisait un séjour à Naples, où il s’occupait d’acheter des grains en Pouille et de les transporter à Pescara, pour le compte du gouvernement napolitain. Il avait emmené l’enfant avec lui, et le laissa entre les mains de quelque maître. Boccace vécut à Naples comme un pauvre enfant abandonné. Ses études juridiques, nous dit-il, s’y poursuivirent, tant bien que mal, pendant six ans, jusqu’à ses vingt-deux ans. Son père poursuivait toujours la fortune, et elle le fuyait, si nous en jugeons par le peu de biens qu’il laissera dans son hérédité. Il passait sa vie en voyages. Nous savons notamment qu’il était de nouveau à Paris en 1332. C’était un de ces « chiens de Lombards » que nos ancêtres aimaient peu.

Le fils, cependant, trouvait à Naples, dans le spectacle d’une cour française et dans les mœurs d’un pays grec, ce que la civilisation pouvait offrir alors de plus raffiné, de plus élégant et aussi de plus dissolu. Il nous apprend qu’il avait une maîtresse, et il la décorait du nom antique de Pampinea, « une jeune nymphe qui m’a trouvé digne de son amour, et m’y a retenu assez longtemps. « Il dit aussi qu’il commença à aimer la poésie, un jour, en face de la tombe de Virgile, au pied du mont Falerne. L’antiquité sortait des tombeaux, toute jeune et vivante, en une nouvelle incarnation.

Aucune ville n’offrait plus que Naples l’attrait des plaisirs faciles et la tentation de l’oisiveté. Sous son ciel presque oriental, avec son peuple à la fois remuant et paresseux, elle s’étend au bord de la mer bleue, parmi des sites voluptueux. Tout n’y était alors que luxe et réjouissance. De riches marchands, une noblesse élégante, une cour peuplée de poètes et de gens d’esprit, l’esprit délié des Grecs, la gaîté gaillarde des Français, le commerce oriental, les souvenirs partout présens de l’antiquité romaine, en faisaient, par le plus curieux mélange, une ville unique au monde.

L’été, la société élégante s’en allait respirer à Baia la fraîcheur de l’air marin. « Non loin, dit Boccace, du beau mont Falerne, entre l’antique Cumes et Pouzzoles, est la gracieuse Baia, sur la rive marine. Nul ciel ne couvre plus beau ni plus doux lieu. Les bains y sont très sains, le ciel très pur. Les débris antiques qu’on y voit, nouveaux pour les esprits modernes, leur sont occasion de plaisir. » Comme au temps d’Ovide, Baia est une plage à la mode. La musique, la danse réunissent les dames et les cavaliers, et aussi la chasse, la pêche et toute sorte de libres distractions. Chaque coin ombragé de la plage est couvert de jeunes gens et de jeunes femmes