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d’un Dieu personnel. C’est à cette condition, tout idéale en apparence, qu’il put donner naissance à la communauté essénienne. Celle-ci n’était donc pas simplement bouddhiste ; quoique pratiquement elle le fût, elle ouvrait la porte à un élément sémitique. Quand, à son tour, elle produisit comme un rejeton la foi chrétienne, celle-ci se sémitisa encore davantage ; elle allia la doctrine d’un Dieu créateur et maître avec les élémens indispensables du bouddhisme, je veux dire avec la charité, le renoncement au monde et à soi-même.

Bientôt après, un autre rameau essénien sortit du tronc primitif sous le nom de manichéisme, et tenta d’échapper à cette greffe israélite que les chrétiens avaient consolidée. Il eut du succès dans les populations, appelées de nouveau à la liberté ; mais il fut mutilé et finalement détruit par la double force des églises et des autorités laïques. Dans sa dernière phase, dans la guerre des albigeois, l’historien ne trouve plus qu’un écho lointain, débile et altéré de l’Inde. L’autre branche, celle des pauliciens, a fourni quelque chose à la réforme protestante ; mais qui pourrait l’y retrouver ?

L’analyse nous montre dans notre société contemporaine deux choses essentielles : l’idée d’un Dieu personnel chez les croyans et chez les philosophes, la disparition à peu près complète de la charité. L’élément juif a repris le dessus, et l’élément bouddhique du christianisme s’est voilé.

C’est donc un des phénomènes les plus intéressans, sinon les plus inattendus de nos jours, que la tentative faite en ce moment de susciter et de constituer dans le monde une société nouvelle, appuyée sur les mêmes fondemens que le bouddhisme. Quoiqu’elle ne soit qu’à ses commencemens, sa croissance est si rapide que nos lecteurs seront bien aises de voir leur attention appelée sur ce sujet. Elle est encore en quelque sorte à l’état de mission, et sa propagation s’accomplit sans bruit et sans violence. Elle n’a pas même un nom définitif ; ses membres se groupent sous des noms orientaux, mis en tête de leurs publications : Isis, Lotus, Sphinx, Lucifer. Le nom commun qui prévaut parmi eux pour le moment est celui de Société théosophique.

Cette société est bien jeune ; elle a déjà pourtant une histoire. Elle fut fondée en 1875, à New-York, par un très petit groupe de personnes, inquiètes de la rapide décadence des idées morales dans l’âge présent. Ce groupe s’intitula « Société théosophique aryenne de New-York. » L’épithète d’aryenne indiquait assez que la société se séparait du monde sémitique, notamment des dogmes juifs ; la partie juive du christianisme devait être réformée, soit par une